Fiscalité communale : une nouvelle taxe sur les surfaces imperméabilisées

Le CRI n°450 - Janvier 2021
Fiscalité communale : une nouvelle taxe sur les surfaces imperméabilisées

Une commune peut-elle taxer les chiens avec un chapeau ? La Constitution belge le permet en effet.

Ainsi, l'article 170 de la Constitution dispose que : « 4. Aucune charge, aucune imposition ne peut être établie par l'agglomération, par la fédération de communes et par la commune que par une décision de leur conseil. La loi détermine, relativement aux impositions visées à l'alinéa 1er, les exceptions dont la nécessité est démontrée. »

Pouvoir des communes de lever une taxe

Il résulte de cette disposition que ces autorités peuvent lever des impôts afin de pourvoir aux intérêts dont elles ont la charge.

La compétence des communes apparaît donc directe (une loi n'est pas nécessaire pour la mise en œuvre de cette compétence), générale (les communes sont compétentes pour définir l'ensemble du régime juridique des impôts communaux. Elles déterminent librement les contribuables, les faits générateurs, les bases imposables, l'assiette de l'impôt...), autonome et, a priori, illimitée, en ce sens qu'aucun lien direct entre les compétences matérielles et le pouvoir de taxation n'est nécessaire.

Elles peuvent ainsi instituer des perceptions sur des biens dont l'assiette ne relève pas de leur compétence.

La taxe sur les surfaces imperméabilisées

Manifestement, les Communes ont une imagination assez fertile en la matière. Ainsi, la commune de Jette vient de lever une taxe sur les surfaces imperméabilisées. La taxe a été établie pour les années 2020 à 2025.

L'objet de la taxe sont les surfaces imperméabilisées, soit les aires dont le revêtement au sol est asphalté, bétonné, dallé ou carrelé. Il importe peu que le niveau du sol soit situé en sous-sol, au rez-de-chaussée, aux étages intermédiaires ou en toiture.

La surface doit excéder 200m2.

La surface doit être exploitée économiquement, soit directement comme un parking payant, soit indirectement comme une aire de stationnement permettant aux clients de stationner leur véhicule à proximité des commerces, des aires de dépôt de marchandises ou d'entreposages divers situées à l'air libre.

Le montant de la taxe s'élève à : (m2 de la surface + 2%) * 6,63€ pour l'année 2020 (le montant est indexé par année – 6,76€ pour 2021 ; 6,90€ pour 2022 ; 7,04€ pour 2023 ; 7,18€ pour 2024 ; 7,32€ pour 2025).

Le contribuable est tenu de faire une déclaration spontanée et donc de déclarer volontairement le nombre de m2 de superficie.

S'il ne le fait pas, l'administration fiscale peut procéder à la taxation d'office et lui ajouter un accroissement d'impôt, soit 25% lors de la première infraction, 50% lors de la seconde, 100% de la troisième et 200% lors de la quatrième infraction et des suivantes.

Par ailleurs, la commune peut demander au contribuable tous les documents qu'elle souhaite. Si celui-ci s'abstient de répondre, il peut se voir infliger une amende de 100€ ou de 500€ en cas d'abstention volontaire.

La commune ne va-t-elle pas trop loin ?

Sans entrer dans l'analyse de tous les arguments juridiques de ce règlement-taxe comme la publication du règlement, l'application de la taxation d'office, les pouvoirs d'investigation de la commune, le calcul de la taxe... l'autorité communale doit respecter certains principes comme celui de la motivation.

Le principe de motivation matérielle implique que toute décision administrative doit, même dans l'exercice d'un pouvoir d'appréciation aussi large soit-il, être fondée sur des motifs de fait et de droit objectivement admissibles et qui se dégagent, soit de la décision elle-même, soit du dossier administratif.

La règle de l'égalité des Belges devant la loi contenue dans l'article 10 de la Constitution, celle de la non-discrimination dans la jouissance des droits et libertés reconnus aux Belges inscrite dans l'article 11 de la Constitution ainsi que celle de l'égalité devant l'impôt exprimée dans l'article 172 de la Constitution impliquent que tous ceux qui se trouvent dans la même situation soient traités de la même manière. Cela n'exclut pas qu'une distinction soit faite entre différentes catégories de personnes pour autant que le critère de distinction soit susceptible de justification objective et raisonnable.

Une justification objective et raisonnable n'implique pas que l'autorité faisant une distinction entre des contribuables doive apporter la preuve que la distinction ou l'absence de distinction aurait nécessairement des effets déterminés. L'apparence raisonnable de l'existence ou de l'éventuelle existence d'une justification objective de ces catégories suffit à établir, si leur instauration est objective et raisonnable.

L'existence d'une telle justification doit s'apprécier par rapport au but et aux effets de la mesure prise ou de l'impôt instauré. Le principe d'égalité est violé lorsqu'il est établi qu'il n'existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.

S'il n'est pas requis que la justification ressorte immédiatement du seul règlement, encore faut-il que l'objectif pouvant raisonnablement justifier la différence de traitement qui en découle apparaisse du dossier constitué au cours de son élaboration ou puisse être déduit du dossier administratif constitué par son auteur.

Il incombe à l'autorité communale de fonder ses règlements sur des motifs exacts, adéquats et pertinents, qui doivent résulter du dossier constitué au cours de l'élaboration de ce règlement. Les explications données par l'autorité locale dans ses écrits de procédure ne peuvent suppléer à la carence du dossier. Dans ce cas, il est impossible aux juridictions administratives et judiciaires d'examiner la compatibilité du règlement avec les articles 10 et 172 de la Constitution.

Les juridictions saisies d'une contestation de la régularité du règlement doivent être en mesure, sur la base de ces motifs, d'exercer le contrôle de légalité qui leur incombe.

à partir du moment où la commune décide d'autorité de créer des distinctions entre citoyens, notamment en établissant des taux d'imposition différents selon des catégories de contribuables, ou en prévoyant des catégories de personnes exonérées, elle doit impérativement justifier, sur la base de considérations objectives, pertinentes et raisonnables le choix effectué en tenant compte du but poursuivi par le règlement et des effets de celui-ci.

L'examen de comparabilité ne concerne que le règlement-taxe lui-même et non son application. Pour invoquer la nullité d'une taxe, la discrimination doit être juridique, c'est-à-dire que la différence de traitement invoquée doit trouver sa source dans le texte du règlement-taxe et non dans la manière dont celui-ci est appliqué.

Motivation du règlement-taxe de la commune de Jette

A la lecture du règlement-taxe de la commune de Jette, on constate que les surfaces de moins de 200m2 sont exonérées.

Quelle en est la raison ? La commune justifie cette différence de traitement par l'impact marginal sur la capacité des collecteurs à recueillir l'eau pour les superficies de moins de 200m2.

La motivation nous laisse perplexe. Pourquoi 200m2, pourquoi pas 150m2 ou 250m2...des études ont-elles été menées ? On l'ignore.

Par ailleurs, pourquoi taxer uniquement les superficies exploitées économiquement? Soit tout le monde compromet l'infiltration naturelle des eaux pluviales, soit personne....

Pourquoi dès lors taxer uniquement les superficies exploitées économiquement ?

Est-ce normal qu'un bailleur propriétaire d'un immeuble avec plusieurs appartements en voirie, des garages et parkings à l'arrière se voit taxer après sans compter que l'immeuble date d'une bonne quarantaine d'années et a été construit dans le strict respect des règles d'urbanisme ?

Enfin, qu'en est-il du nouveau supermarché avec parking qui vient d'être construit conformément au permis d'urbanisme accordé lequel faisait état d'une telle superficie et de l'obligation de prévoir X emplacements de parcage ?

La commune accorde un permis et sait qu'elle va taxer cette superficie ultérieurement.

En droit civil, cela s'apparente à une rétention dolosive sanctionnée par les cours et tribunaux.

Que faire si vous recevez un avertissement-extrait de rôle ?

La procédure de contestation d'une taxe locale impose au contribuable un recours administratif préalable auprès du collège des Bourgmestre et Echevins ou du collège communal.

Le recours devant l'autorité locale compétente est prescrit à peine de déchéance. En effet, si le contribuable n'a pas exercé de recours administratif devant cette autorité, il ne sera pas admis à entamer de recours devant les cours et tribunaux.

Le recours administratif est donc un préalable obligatoire à l'intentement des actions devant les juridictions judiciaires.

La Cour de cassation a, dans un arrêt du 30 mai 2008, consacré ce principe de recours administratif préalable : « Il se déduit de l'article 1385undecies, alinéa 1er, du Code judiciaire et des articles 9 et 10 de la loi du 24 décembre 1996 relative à l'établissement et au recouvrement des taxes provinciales et communales, que le recours administratif organisé par ou en vertu de la loi, au sens de l'article 1385undecies précité, est, en matière de taxes communales, la réclamation formée contre la taxe enrôlée au nom du redevable devant le collège communal et que seul un tel recours constitue le préalable qui rend admissible l'action portée devant le tribunal de première instance.

Justifie légalement sa décision que la demande de dégrèvement d'une taxe communale est irrecevable au regard de l'article 1385undecies du Code judiciaire, le juge qui constate que cette demande est formulée pour la première fois devant le juge et que la réclamation introduite par le contribuable ne tendait pas à l'annulation ou au dégrèvement de la taxe, mais à l'annulation du règlement-taxe lui-même adopté par le conseil communal, ce qui avait conduit le collège à se déclarer incompétent pour connaître de cette réclamation ».

Le recours administratif doit être introduit dans un délai de trois mois à dater de l'envoi de l'avertissement-extrait de rôle. Cette disposition impose par ailleurs à l'administration locale de mentionner le délai dans lequel le contribuable doit exercer son recours.

Le délai de trois mois vaut également pour la région flamande. En région wallonne, le délai de trois mois est porté à six mois.

En conclusion

Les communes peuvent taxer les chiens avec des chapeaux, mais elles doivent expliquer la raison de cette taxation.

Si une différence de traitement existe comme ne pas taxer les chats avec des chapeaux la commune doit avoir une raison objective de le faire.

A la lecture du règlement-taxe sur les superficies imperméabilisées, on est en peine de comprendre la justification de cette taxation et la raison pour laquelle seuls certains contribuables seront taxés.

Elle nous apparait par ailleurs tout à fait abusive...

Nous allons bientôt être taxé sur l'air que nous respirons !

Cet article n'est valide qu'à la date où il a été publié.
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