Bruxelles limite encore plus le droit de propriété des logements donnés en location

Bruxelles limite encore plus le droit de propriété des logements donnés en location

Le Parlement bruxellois est appelé à se prononcer sur le projet d’ordonnance qui vise à donner la priorité aux locataires pour la vente du logement dans lequel ils sont domiciliés.

Le Syndicat National des Propriétaires et Copropriétaires a réagi car ce projet fait partie d’un ensemble de mesures qui écornent le droit de propriété des biens donnés en location à Bruxelles.

Après la hausse des taxes communales, la réduction de l’indexation des baux, la complication des procédures en matière de contentieux locatif, vient le droit de préférence lors de la vente.

« Cela peut paraître justifié de réserver une priorité au locataire lorsque son logement est mis en vente, mais cette priorité se fera au détriment des jeunes acquéreurs qui cherchent un logement à un prix abordable » déclare d’emblée Olivier de Clippele, président de la régionale bruxelloise du Syndicat National des Propriétaires et Copropriétaires (SNPC).

Cette mesure limite la capacité des propriétaires de vendre leur bien.

Rappelons ici les raisons qui ont poussé le SNPC à réagir contre ce nouveau projet :

1) Un nouveau type de conflit entre acquéreurs et locataires alors que les uns comme les autres cherchent à acquérir un bien pour y habiter

Lorsqu’un bien affecté à du logement est mis en vente, dans la plupart des cas ce n’est pas un investisseur qui va l’acquérir mais une personne, un couple, qui souhaite y habiter et y installer son logement. Il s’agit de leur premier bien.

Dès lors, immanquablement, cela va mettre en conflit des personnes qui poursuivent le même but, se loger, et la mise en place d’un droit de préemption ne peut que créer une discrimination vis-à-vis de l’acquéreur extérieur.

Il faut aussi s’interroger à cet endroit sur ce que l’on veut privilégier, l’acquisition d’un premier bien au titre du logement et par là même d’un premier bien ou, qui sait, permettre à certains locataires de faire de la spéculation immobilière.

Il n’est pas rare que des locataires soient propriétaires de biens immobiliers ailleurs mais qui pour des raisons par exemple professionnelles louent un bien à Bruxelles.

Il serait en outre tout à fait anormal que le locataire qui préempte ne soit pas tenu de conserver le bien pendant un certain temps et éviter un achat dans son chef spéculatif. Des sanctions devraient être prévues au même titre qu’il est proposé des sanctions vis-à-vis des bailleurs qui n’informeraient pas leurs locataires de la mise en vente ou en cas de non-respect du droit de préemption.

2) Les délais pour la vente de logements donnés en location vont augmenter et freiner la possibilité d’acheter un logement à Bruxelles

Aujourd’hui déjà les contraintes sont conséquentes pour les notaires avant de pouvoir passer l’acte authentique de vente et mentionnons :

  • La vérification de la situation hypothécaire qui peut révéler des surprises ;

  • La vérification de la situation urbanistique qui révèle des surprises très fréquentes ;

  • La vérification de la situation au niveau des sols qui révèle régulièrement qu’une vente ne peut intervenir sans effectuer une étude du sol, voire une dépollution du sol ;

  • Outre toutes les autres vérifications, comme celles du titre de propriété, de la situation fiscale, de l’état de l’installation électrique, du PEB, de la copropriété (il arrive souvent que le bien décrit dans le titre ne corresponde plus avec celui décrit à l’acte de base ou dans les documents du syndic).

Le droit de préemption sera une contrainte de plus avec la particularité que le notaire devra s’assurer que son dossier est bien complet et en ordre avant de lancer la procédure de droit de préemption au locataire.

Or, il arrive très souvent que le dossier soit finalement en ordre à la dernière minute, pensons aux problèmes liés à l’urbanisme bruxellois.

Le notaire devra notifier un nouveau droit de préemption à chaque fois que les conditions de la vente sont modifiées dans le cadre de la préparation du dossier.

Le notaire a, en effet, une grande responsabilité dans ces questions de préemption puisque tant l’acquéreur évincé que le locataire qui n’a pas pu préempter peuvent demander la résiliation de la vente avec toutes les conséquences que cela peut entrainer.

Les notaires ne feront pas la distinction entre un droit de préférence ou un droit de préemption, ils ne prendront aucun risque.

Il leur arrivera de recommencer la procédure car un élément a été modifié depuis la signature du compromis, au risque que l’acquéreur ne soit plus dans les temps pour passer son acte de crédit et qu’il subisse une hausse des taux d’intérêts.

Lorsqu’un compromis de vente est signé, en règle générale l’acte authentique doit pouvoir être passé dans les 4 mois.

Si le notaire doit faire face à un certain nombre de contraintes, dans le chef de l’acquéreur il en va de même et notamment quant aux démarches à effectuer pour l’obtention par exemple d’un prêt.

3) L’acheteur initial et évincé par un droit de préemption perd tout

L’acheteur qui a signé un compromis d’achat en bonne et due forme perdra tout si son achat est préempté :

  • Il ne pourra pas acquérir le bien pour lequel il s’est engagé ;

  • Il ne récupérera pas les frais exposés dans le cadre de son achat (frais de la banque, d’un expert, d’un architecte, réalisation de placements financiers, etc.)

  • Il devra attendre avant de pouvoir donner congé de son propre logement ;

  • S’il a déjà vendu son logement actuel, il devra loger à l’hôtel en attendant de retrouver un autre logement.

4) Les biens libres d’occupation connaîtront une hausse artificielle des prix

On observe que la présence d’un droit de préemption en matière de bail à ferme entraine une hausse artificielle des prix des terres libres d’occupation qui ne sont pas soumises au droit de préemption ; les biens libres se vendent dès lors au-dessus de leur valeur habituelle.

Pour l’immobilier résidentiel, l’effet sera le même avec l’introduction d’un droit de préemption : les logements libres d’occupation se vendront plus chers encore.

L’introduction d’un droit de préemption aura dès lors un effet haussier sur les prix de vente de la majorité des biens car la nouvelle législation poussera les bailleurs qui veulent vendre leurs biens à les libérer de tout locataire avant la mise en vente.

Mais cela n’aura aucun effet baissier sur les prix, car si le locataire ne met pas en œuvre le droit de préemption, la plupart des acquéreurs, comme nous l’avons déjà précisé, achetant le bien pour y habiter, pourront donner renom pour occupation personnelle.

5) Moins de biens accessibles aux jeunes

Les jeunes ménages à la recherche d’un logement à acquérir seront confrontés à la double équation :

  • les logements loués ne seront pas mis en vente ;

  • les logements libres d’occupation se vendront plus chers encore que la valeur réelle des biens, compte tenu de l’absence de droit de préemption.

Le droit de préemption va entrainer des vases communicants entre les biens loués qui ne seront pas mis en vente et les biens libres d’occupation qui seront vendus à des prix élevés.

6) Il y aura moins de logements à louer à Bruxelles

Le droit de préemption est un procédé par lequel un acquéreur légitime qui a signé un compromis de vente avec le propriétaire, est évincé de tous ses droits dès lors que le locataire exerce le droit de préemption.

Ce procédé entraine une perte de confiance chez les amateurs, mais aussi chez les propriétaires-vendeurs.

De plus, la présence d’un droit de préemption en faveur des locataires influence le prix de vente car un amateur préfèrera toujours acheter, même plus cher que le prix du marché, un bien libre d’occupation plutôt que d’acheter un bien occupé qui de plus sera soumis à la préemption.

7) Les jeunes qui trouvent enfin le logement qui leur convient financièrement ont le plus de risque d’être préemptés

Il existe déjà un droit de préemption en faveur des administrations publiques tant à Bruxelles que dans la périphérie flamande. Statistiquement, le risque d’être préempté par une administration publique est proche de zéro, l’acheteur n’a qu’une (mal)chance sur mille d’être préempté.

Ce droit de préemption semble fait pour éviter que des jeunes, sans grandes finances personnelles, puissent acheter le logement de leurs rêves, les mettant en compétition avec les locataires, alors même qu’ils ont le même but.

8) La vente des logements neufs sera ralentie

Une part non négligeable des appartements vendus sous régime TVA (constructions neuves) est destinée à la location. Nombreux sont les acheteurs (mais il est vrai un profil d’investisseurs et non de bailleurs bon père de famille) qui optent pour la revente dans les 2 ans sous régime TVA ce qui leur permet de récupérer la TVA payée lors de l’achat. La présence d’un droit de préemption sera un frein à ce type d’investissement.

9) Le locataire qui bénéficie du droit de préemption ne facilitera pas la vente

L’expérience du bail à ferme démontre que le premier amateur pour acheter le bien mis en vente, c’est bien son locataire, mais il fera tout pour « casser » le prix de vente. Il se considère comme chez lui et voit les amateurs qui viennent visiter les lieux comme des intrus qui l’empêcheront d’acheter le bien qu’il occupe.

La présence d’un droit de préemption fera que le locataire ne proposera rien à son bailleur, il restera passif, il attendra qu’un notaire vienne lui signaler qu’un compromis de vente a été signé et qu’il bénéficie d’un délai de réflexion pour se décider et acheter à la place de l’acheteur.

Cette situation refroidit les amateurs.

10) Bruxelles s’éloignera encore plus de sa périphérie flamande et wallonne

Le droit de préemption sera limité à la zone des 19 communes bruxelloises. Les 22 communes situées en Brabant-flamand et en Brabant-wallon qui font partie de la zone économique de Bruxelles, ne connaîtront pas cette contrainte, ce qui sera un attrait supplémentaire pour investir autour de Bruxelles plutôt que dans Bruxelles et éviter les aléas pour l’acheteur dénoncés au point 2.

11) Faire intervenir un tiers dans un contrat est toujours une source de complications judiciaires

Le droit de préemption fait qu’une personne étrangère au contrat vient prendre la place de l’acheteur. Or, la vente n’est pas seulement une question de prix, il y a des tas d’autres conditions spécifiques qui sont convenues sur mesure entre deux parties.

Il arrive fréquemment qu’entre la signature du compromis et la signature de l’acte, les parties modifient certaines conditions ; dans ce cas, l’offre en préemption au locataire est viciée et doit être recommencée.

Les cas les plus fréquents sont consécutifs à la découverte d’une infraction d’urbanisme car énormément de biens sont en infraction à Bruxelles sans même que les propriétaires n’en aient connaissance. Les notaires vont dans ce cas adapter la convention en fonction de chaque situation particulière.

La présence d’un droit de préemption rendra ce type d’arrangement plus difficile dans l’avenir.

12) Qui est locataire d’un bien ?

La qualité de locataire fait souvent débat devant les tribunaux.

Qu’arrivera-t-il lorsqu’un logement est loué suivant un bail écrit mais que le loyer est payé par une autre personne ; qui est locataire ? Y-a-t-il eu cession de bail ?

Qu’arrivera-t-il en cas de colocation, qui constitue près de 15 % des locations à Bruxelles ; qui bénéficiera du droit de préemption ?

Qu’arrivera-t-il en cas de location de plusieurs logements dans le même immeuble vendu dans sa totalité ?

Est-ce qu’une location de type AIR B&B est une location digne de préemption ?

Suffit-il de louer meublé pour échapper à la préemption ?

Le notaire pourra refuser de prêter son ministère si la situation locative n’est pas entièrement clarifiée car il ne pourra offrir la préemption à des personnes qui ne sont pas locataires ; et qu’arrivera-t-il si plusieurs locataires veulent préempter le même bien ?

13) Remariage et réduction des droits des nus-propriétaires

En droit civil belge, c’est l’usufruitier qui peut librement choisir le locataire et signer un bail sans devoir recourir à l’accord des nus-propriétaires.

Or, la signature d’un bail influence le droit des nus-propriétaires puisqu’ils ne pourront plus vendre librement leur propriété.

Il arrive fréquemment que les deux parties ne s’entendent pas, l’exemple le plus courant est l’usufruit dévolu au conjoint d’un second mariage.

L’usufruitier peut ainsi réduire le droit de propriété de ses beaux-enfants, lesquels perdront le pouvoir de disposer librement de leur bien.

Les situations les plus fréquentes sont les locations au partenaire de l’usufruitier, ou encore à l’un de ses enfants.

14) Sérieuse réduction du droit de propriété

L’instauration du droit de préemption est une sérieuse réduction du droit de propriété puisque le propriétaire ne pourra plus librement décider à qui il vend son immeuble.

On peut ainsi en déduire qu’une partie de ce droit de propriété est transférée au locataire lors de la signature d’un bail avec cette particularité que le locataire détiendra un des attributs de la propriété, celui d’acheter par préférence, mais sans en payer le prix et sans en supporter la taxation.

N’oublions pas que le droit de propriété est un des plus grands acquis de la Révolution française permettant à tout citoyen de devenir propriétaire avec les mêmes droits que les seigneurs de l’Ancien Régime. Le droit de préemption existait sous l’Ancien Régime et c’est à cause de son usage abusif qu’il fut supprimé dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et du Citoyen qui dispose en son article 17 : « La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité. »

La Constitution belge, la Convention Européenne des Droits de l’Homme et la Charte Européenne des Droits fondamentaux ont confirmé ce principe de respect de la propriété privée sauf à démontrer une cause d’utilité publique qui autorise la privation du droit de propriété.

L’exercice d’un droit de préemption fait souvent l’objet de controverses devant les tribunaux et même devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme qui estime qu’il y a lieu de vérifier la légitimité de l’exercice d’un droit de préemption compte tenu qu’il y a toujours une personne qui en sera victime, l’acquéreur initial. Cet acquéreur qui avait signé une convention de vente en bonne et due forme peut se revendiquer comme ayant une espérance légitime de devenir propriétaire et dès lors revendiquer certains droits liés à cette propriété.

Ainsi, l’acquéreur évincé par un droit de préemption peut à notre avis demander réparation de son dommage, mais qui va payer ?

15) Certains locataires pourraient en profiter pour rendre la vie dure à leur bailleur

Certes, il est fait état que le locataire devrait se prononcer dans le mois (ou les deux mois) de la notification du compromis de vente.

Deux hypothèses :

  1. La première, le locataire ne réagit pas dans le délai imparti et les choses en restent là, le notaire pouvant passer l’acte avec l’acquéreur mais pour autant que ce dernier ait obtenu son prêt. Si tel n’est pas le cas, nous partons vers un nouveau tour de piste, avec la signature d’un nouveau compromis qui lui aussi, alors même que le prix serait le même, va devoir être dénoncé au locataire.

  2. La seconde, le preneur lève le droit de préemption dans le délai et confirme qu’au prix proposé, il achète. Mais cela ne veut pas encore dire qu’il va réellement acheter car il va devoir lui aussi dans la plupart des cas demander un prêt...et l’obtiendra-t-il?

Il ne faut pas exclure des situations où le locataire pourra faire traîner la vente en faisant croire qu’il compte exercer le droit de préemption mais en sachant qu’il n’a pas les moyens d’acquérir le bien.

En outre, il faut que tant l’acquéreur extérieur que le locataire soit mis sur le même pied d’égalité.

Il n’y a pas que le prix qui doit jouer mais également le fait qu’il n’y ait par exemple pas dans le compromis dénoncé de clause suspensive de l’octroi d’un prêt pour l’acquisition du bien.

Il ne faut pas non plus se leurrer sur le temps que le preneur qui lève le droit de préemption va mettre pour effectuer les démarches voulues et ce sont ainsi plusieurs mois qui vont être perdus bien plus que le mois ou les deux mois dont il est fait état pour l’exercice du droit de préemption.

Et, in fine, quid si le locataire n’obtient pas son prêt après x mois ? Rebelotte, retour à la case départ car l’acquéreur initial devant l’exercice du droit de préemption a cherché ailleurs. Le bailleur qui escomptait une vente rapide et rentrer dans ses fonds va subir un préjudice évident.

A nouveau, si des sanctions sont envisagées pour les bailleurs qui ne respecteraient pas le droit de préemption, il faut aussi prévoir des sanctions pour les locataires qui en abuseraient pour faire traîner les choses

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