Fissures dans votre immeuble suite à un sol argileux

Le CRI n°462 - Mars 2022
Fissures dans votre immeuble suite à un sol argileux

Dans le Cri du mois de février, nous avions évoqué la question de la couverture de l’assurance en cas de fissure dans un bien.

Nous croyons utile de revenir sur cette question suite à l’analyse d’une loi interprétative d’une réelle utilité pour les propriétaires sinistrés.

Repartons de l’exemple tel qu’il fut exposé dans le CRI de février 2022 :

Après expertise, il appert que des fissures dans un immeuble résultent d’un mouvement de terrain.

Une étude géotechnique est réalisée et la structure du sol apparaît être composée de terres argileuses relativement plastiques, voire très plastiques.

L’expert relève dès lors que les sols argileux très peu perméables empêchent les eaux superficielles, qui s’infiltrent depuis la surface du terrain, de migrer en profondeur.

Il relève aussi qu’il existe un risque accru pour le sol de varier sensiblement de volume en fonction de l’état d’humidité et notamment de se contracter en s’asséchant.

Et un tel phénomène s’accompagne d’un affaissement des sols qui produit inévitablement des mouvements entraînant généralement l’apparition de fissures.

Malgré la couverture « catastrophe naturelle », l’assurance se montre réticente et, reprenant la définition des conditions générales de sa police, relève :

« Il n’y a pas eu affaissement au sens des mouvements d’une masse importante de terrain. Il y a eu seulement une diminution de volume du sol suite à un manque d’eau et ensuite augmentation à nouveau de ce volume suite à la ré-humidification.

Cet élément est lié à la présence d’argile dans le sol et ne présente aucun caractère accidentel ni aléatoire, condition du contrat d’assurance ».

Nous avions alors fait état d’un avis de la Commission Economie de la Chambre des représentants qui prenait ces distances face à une telle interprétation sans, alors, faire état de la loi interprétative intervenue.

C’est pourquoi nous revenons sur ce sujet.

Nous lisons des rapports dressés, dans le cadre de la proposition de loi déposée, le commentaire suivant :

« En raison des périodes de sécheresse de longue durée qui sont de plus en plus fréquentes, différentes régions sont touchées par des affaissements de terrain dus à l’asséchement et ensuite au tassement des sols argileux notamment.

En conséquence, de profondes fissures apparaissent dans certaines habitations, dont la stabilité est menacée. Il s’agit souvent d’habitations plus anciennes aux fondations moins épaisses, qui ne sont donc pas équipées pour faire face à cette problématique récente.

Il va sans dire que les dommages encourus s’élèvent souvent à des dizaines de milliers d’euros, voire davantage.

L’on s’attend à ce que ce type de sécheresse, et les dégâts qu’il occasionne aux habitations, devienne moins exceptionnel à l’avenir.

Heureusement, le législateur a instauré, en 2005, une protection supplémentaire pour les consommateurs en prévoyant une protection obligatoire couvrant diverses catastrophes naturelles dans le cadre de l’assurance incendie.

Elle venait s’ajouter à l’assurance obligatoire déjà existante couvrant les risques d’inondation.

Les glissements et affaissements de terrain étaient dès lors également assurés dans le cadre de l’assurance incendie générale.

L’objectif de l’amendement adopté à l’époque était d’assurer que les affaissements de terrain, qui résultent d’un processus lent et souvent invisible, soient couverts par l’assurance contre les catastrophes naturelles.

Cette loi visait donc à offrir une couverture très large aux assurés. Ce principe a été réaffirmé dans l’actuelle loi relative aux assurances.

Or, depuis 2011, l’Ombudsman des assurances fait état de plaintes de la part de consommateurs concernant le refus des compagnies d’assurance de rembourser les dégâts occasionnés aux habitations par la sécheresse. (C’est nous qui soulignons.)

Dans son rapport annuel publié récemment, l’Ombudsman des assurances évoque également ce problème.

Les assureurs avancent qu’il n’y a pas de mouvement soudain d’une masse importante de terrain.

Ils soutiennent que ce n’était pas la volonté du législateur de couvrir ce phénomène à travers la garantie catastrophes naturelles.

Cette interprétation est cependant incompatible avec la genèse de la législation décrite ci-dessus, la volonté du législateur étant bel et bien de procurer au consommateur une large couverture, y compris pour les dommages causés par un processus lent et invisible.

La contraction du sol due à la sécheresse répond donc certainement à cette description.

La présente proposition de loi vise par conséquent à préciser que les dommages causés par la sécheresse étaient déjà considérés par le législateur de 2005 comme étant couverts par l’assurance incendie, et à lever ainsi toute insécurité juridique ».

Mais une loi ne peut « naturellement » avoir un effet rétroactif.

Aussi, fallait-il voir s’il n’était pas possible de voter « une loi interprétative » afin de pouvoir venir au secours de personnes qui, avant le vote de la loi nouvelle, avait subi un préjudice.

Avis au Conseil d’Etat a été demandé.

Nous croyons intéressant de reprendre l’avis de ce Conseil d’Etat daté du 29 septembre 2021.

« Une loi interprétative se justifie par la suppression de l’incertitude juridique à laquelle le caractère incertain ou contesté d’une disposition législative a donné lieu.

Il s’ensuit qu’une disposition interprétative n’est admissible que si le texte que le législateur entend interpréter est peu clair et susceptible d’interprétations en sens divers dans la jurisprudence, par exemple ».

Ainsi, fut voté, le 29 avril 2021, la loi interprétative de l’article 124 §1er, D, de la loi du 4 avril 2014 relative aux assurances.

En son article 2, il est précisé ce qui suit :

« L’article 124, § 1er, d), de la loi du 4 avril 2014 relative aux assurances doit être interprété en ce sens qu’il y a notamment lieu de comprendre par “mouvement d’une masse importante de terrain qui détruit ou endommage des biens, dû en tout ou en partie à un phénomène naturel autre qu’une inondation ou un tremblement de terre” toute contraction d’une masse importante de terrain due en tout ou en partie à une période de sécheresse prolongée, qui détruit ou endommage des biens ».

Voilà une avancée importante et particulièrement protectrice des propriétaires sinistrés dont le sous-sol est essentiellement composé d’argile et subissant des fissures dans leur habitation.

Encore faut-il bien naturellement constituer un dossier établissant la nature du sol.

Il existe des sociétés de sondage telle que l’INISMA disposant de matériel utile pour procéder à ce type de sondage.

La question qui se pose est bien naturellement celle de l’avance des frais pour une telle étude, lesquels ne sont pas négligeables.

Il nous semble, essentiellement depuis le vote de cette loi interprétative, que, si l’on peut très légitimement soupçonner, au vu de la localisation de l’immeuble, la présence d’argile en-dessous de celui-ci, ces études, en cas de fissures, doivent être menées par l’assurance du propriétaire.

Au nom du principe de bonne foi dans l’exécution des contrats (et cette condition est appréciée largement en faveur de l’assuré dans le cadre d’un contrat d’assurance), la compagnie doit « prêter » son concours à la recherche des causes du sinistre.

S’il y a donc des indices sérieux permettant de conclure à l’existence de l’argile s’étant contracté à cause de la sécheresse, les frais d’expert nous apparaissent devoir être avancés par l’assurance.

La réforme du Droit de la Preuve permet aussi de relever l’importance de la collaboration dans l’administration de celle-ci.

Sera aussi débattue la question des épisodes de sécheresse qui ont influé sur les mouvements et la contraction de l’argile.

Nous avons pu lire d’un rapport d’un expert, appelé à se pencher sur cette question, ce qui suit :

« Les statistiques de l’IRM permettent de recenser les différents épisodes de sécheresse qui sont intervenus depuis la date de la construction de l’immeuble.

La sécheresse exceptionnelle, qui fait référence, date de 1976...

Or, depuis 2007, des phénomènes exceptionnels de sécheresse durant l’été et qui se combinent à un fort déficit pluviométrique pendant l’hiver, se sont répétés pendant trois années consécutives (2017, 2018 et 2019) ».

Dans le cas ainsi évoqué, l’expert judiciaire qui fut désigné crut important de relever ces périodes de sécheresse.

Cela est évidemment déterminant surtout lorsqu’on analyse le contenu de la loi interprétative (voir supra) qui parle de « périodes de sécheresse prolongées ».

Les assureurs relèveront peut-être qu’une fondation « autre » aurait pu éviter le sinistre.

Il sera alors rappelé, très justement, que ces périodes de sécheresse sont assez récentes en manière telle que le constructeur pouvait difficilement prévoir l’effet de l’argile se contractant sur la solidité de son bien.

Il est certain qu’une jurisprudence importante va actuellement naître.

Nous ne manquerons pas, une fois connues quelques décisions sur cette matière, de revenir vers nos lecteurs.

Cet article n'est valide qu'à la date où il a été publié.
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