Il est peut-être temps de penser à rédiger un testament

Le CRI n°472 - Mars 2023
Il est peut-être temps de penser à rédiger un testament

Le nouveau Code civil crée une surprise en donnant le pouvoir aux usufruitiers de vendre certains biens.

Le parlement fédéral s’est lancé tout récemment dans une procédure de réécriture de la loi la plus importante pour les propriétaires : le Code civil.

Cette réécriture s’opère par phases et tout n’est pas encore terminé.

Nous sommes toutefois surpris par un nouveau texte de loi qui fait beaucoup parler de lui puisqu’il autorise les usufruitiers à disposer de certains biens, et cela sans devoir solliciter l’accord des nus-propriétaires.

Pour rappel, un usufruit est un droit de jouissance sur des biens à charge d’entretien et à charge d’en supporter les impôts. En principe, l’usufruitier n’a pas le droit de vendre mais bien de donner en location.

Le nu-propriétaire, en revanche, n’a pas cette jouissance et il est tenu d’attendre patiemment le décès de l’usufruitier ou la fin convenue dans un contrat pour pouvoir retrouver la pleine propriété incluant la jouissance.

Universalité

Lors de la réforme du droit des biens entrée en vigueur le 1er septembre 2021, un article 3.165 a créé la surprise avec l’usufruit sur les biens composant une universalité comme par exemple un portefeuille titres ou des actions d’une société patrimoniale ou des parts d’une société simple (ex société civile), puisqu’ildispose que "l'usufruitier peut disposer des différents biens qui composent cette universalité si cela correspond à la bonne administration de l'universalité et à condition que les biens qui leur sont substitués soient à nouveau affectés à l'universalité. La plus-value éventuelle que l'universalité présenterait, au moment de la restitution, revient à l'usufruitier ou au nu-propriétaire, par application de l'enrichissement injustifié. »

Nous n’allons pas rentrer dans les détails sur les discussions qui vont déjà bon train entre juristes quant à savoir ce qu’est une « universalité » et ce qui ne l’est pas, mais le texte laisse entendre que des plus-values pourraient être revendiquées par un usufruitier, ce qui est également nouveau.

Si l’usufruitier est un conjoint issu d’un second mariage, la bataille judiciaire sera dans ce cas garantie, puisque les nus-propriétaires ne sont généralement pas les héritiers de l’usufruitier.

En effet, l’intérêt de l’usufruitier est d’investir davantage dans des actions de rendement qui procurent de beaux dividendes ou dans des obligations qui procurent de beaux intérêts, même si ces actions ou obligations sont plus risquées que les actions ou obligations à faible rendement.

 Perte de valeur

Le risque de perte de valeur ou de faillite est pour le nu-propriétaire.

Heureusement que personne n’a encore prétendu qu’un immeuble à appartements peut être considéré comme une universalité composée d’une série d’appartements, ce qui donnerait le pouvoir au seul usufruitier de vendre ces appartements sans l’autorisation du nu-propriétaire.

Mieux vaut toutefois prévenir que de laisser planer le doute.

Comme ce passage du nouveau Code civil n’est pas d’ordre public, il est possible d’y déroger dans une convention comme une donation, mais également dans un testament.

Mesdames, Messieurs, faites un testament

Si vous êtes mariés, nous ne pouvons que conseiller de régler la question dans un testament.

Si vous êtes favorable à la nouvelle mesure, ce testament n’est pas nécessaire, mais si vous n’êtes pas favorable à ce pouvoir de disposition donné à l’usufruitier, autant le dire dans votre testament.

De manière générale, nous conseillons d’insérer les clauses suivantes dans un testament d’une personne mariée :

"L’usufruit de mon conjoint survivant qu’il soit légal ou conventionnel, ne pourra pas être converti sans son accord écrit et préalable.

Je retire le droit à l’usufruit successif tel que prévu à l’article 4.18 du Code civil pour le cas où mon conjoint n’en sollicite pas l’application dans une délai expirant six mois après mon décès par simple déclaration au notaire chargé de ma succession.

Enfin, ma volonté est que mon conjoint ne puisse pas faire application de l’article 3.165 du Code civil pour quelque raison que ce soit en ce sens que l’usufruitier ne pourra pas disposer des biens sujets à usufruit."

La première phrase a pour objectif de protéger le conjoint survivant contre ses propres enfants ou ses beaux-enfants qui pourraient « sortir » l’usufruitier en lui payant une somme, ce qui s’appelle la conversion de l’usufruit.

 La valeur des usufruits n’est actuellement pas élevée, mais cela peut changer en cas de hausse des taux d’intérêt.

 La deuxième phrase répond à la question de l’usufruit successif qui a été introduit dans le nouveau Code civil. Ce nouveau passage crée également des grands remous dans la mesure où cette disposition a un effet rétroactif.

En effet, l’article 4.18 du nouveau Code civil dispose que « le conjoint survivant qui vient à la succession recueille, au décès du donateur, l'usufruit des biens que celui-ci a donnés et sur lesquels il s'est réservé l'usufruit, pour autant que le conjoint ait déjà cette qualité au moment de la donation et que le donateur soit resté le titulaire de cet usufruit jusqu'au jour de son décès. »

La troisième phrase vise à réduire le pouvoir de disposition à l’usufruitier comme introduit par le nouveau Code civil.

Exemple

Un cas fort courant fait comprendre le risque :

Un papa fait une donation à ses enfants en se réservant l’usufruit durant son second mariage.

A son décès, la seconde épouse bénéficiera automatiquement de l’usufruit, même si la donation est intervenue avant le mariage et que l’acte n’a pas prévu de réversion d’usufruit.

Cette disposition s’applique aux donations déjà réalisées avant l’entrée en vigueur de la loi, ce qui ne manquera pas de créer des surprises.

Pire encore, ce conjoint pourra même disposer (= vendre) des biens composant une « universalité » sans l’accord des enfants donataires du premier mariage sauf disposition contraire dans un testament.

Nous conseillons dès lors vivement de prendre la peine de rédiger un testament qui règle cette question nouvelle assez surprenante.

Par la même occasion, il peut être utile d’insérer une clause de fidei-commis de residuo ou une clause d’exonération de reddition de comptes.

Nous y reviendrons dans un prochain Cri.

Cet article n'est valide qu'à la date où il a été publié.
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