L’achat scindé d’un immeuble : comment éviter la taxation au décès de l’usufruitier ?

Le CRI n°461 - Février 2022
L’achat scindé d’un immeuble : comment éviter la taxation au décès de l’usufruitier ?

L’exemple le plus courant est l’achat d’un appartement par les parents pour l’usufruit et par leurs enfants pour la nue-propriété.

Leur but est d’éviter les droits de succession au décès des parents, mais tout n’est pas aussi simple.

Dans les trois régions, la loi fiscale prévoit de taxer cet appartement au décès des parents sauf à démontrer que les enfants ont payé leur part du prix d’achat avec leur propre argent.

C’est cette preuve qui fait l’objet de nombreuses discussions avec l’administration fiscale, car la loi n’a pas prévu de délai entre le moment de l’achat et le jour du décès de l’usufruitier.

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Même si l’achat remonte à plus de 3 ans (délai qui va passer à 5 ans en région wallonne), l’achat scindé restera dans le collimateur du fisc, et cela même pour des achats qui remontent à plus de 30 ans.

Bien que le texte de loi soit le même dans les trois régions, son interprétation diffère entre Bruxelles et la Wallonie d’une part et la Flandre d’autre part.

Interprétation francophone (Bruxelles et Wallonie)

Il y a d’abord eu une succession de circulaires administratives à la suite de la loi anti-abus de droit de 2012.

Récemment, l’administration fédérale belge, qui est restée compétente pour les successions bruxelloises et wallonnes, vient encore de modifier sa position pour les achats scindés dont l’acte notarié est signé à compter du 1er août 2020.

C’est à ce jour, la dernière position administrative connue : les nus-propriétaires doivent démontrer qu’ils possédaient la somme nécessaire au paiement de leur part du prix dès avant la signature du « compromis » avec paiement d’un acompte ou d’une garantie.

A défaut de cette preuve, la succession de l’usufruitier sera taxée sur la totalité de l’immeuble acheté de manière scindée, comme si les nus-propriétaires n’existaient pas !

Interprétation flamande (Flandre)

La Flandre est par contre revenue à l’interprétation ancienne : pour échapper aux droits de succession, il suffit d’apporter la preuve du paiement via un compte des nus-propriétaires, même effectué le jour de l’acte, ou qu’une donation notariée soit faite avant l’acte d’achat, même une heure avant.

Une décision récente de Vlabel (administration fiscale flamande) rappelle certains principes :

Taxation des achats scindés lors du décès de l’usufruitier avec domicile en Flandre (*)

Le nu-propriétaire produit l’extrait de son compte bancaire par lequel il paye sa part du prix

Pas de taxation

La part du prix est donnée par acte notarié avant la signature de l’acte notarié d’achat

Pas de taxation

Le nu-propriétaire ne peut produire aucune preuve, mais il est prouvé que l’usufruitier a bénéficié de son usufruit

Taxation de la pleine propriété du bien évalué au jour du décès, sous déduction de la valeur de l’usufruit sur toute la période de jouissance réelle

Le nu-propriétaire peut produire la preuve, mais il est prouvé que l’usufruitier n’a pas perçu de revenus

L’administration se réserve la possibilité de réclamer des droits de succession sur les trois dernières années de revenus perçus par le  nu-propriétaire.

(*) la région compétente est celle où le défunt a résidé le plus durant les 5 ans avant son décès

Dans le premier cas où l’argent a été simplement transféré par virement bancaire sans supporter les droits de donation, l’administration pourrait demander la preuve que cette donation bancaire remonte à plus de 3 ans avant le décès, délai qui va passer à 5 ans pour les successions wallonnes.

A défaut, les droits de succession seront exigibles sur la somme donnée.

Dans le dernier cas, qui est assez fréquent lorsque toutes les preuves sont perdues, la loi a prévu un abattement qui est aussi valable dans les trois régions, à savoir qu’il est possible de réduire la base taxable à concurrence de la valeur de l’usufruit réellement exercé par l’usufruitier.

Voici un exemple courant valable pour les trois régions :

Abattement lorsque l’usufruitier a joui de son usufruit

Papa (70 ans) achète l’usufruit

Sa fille achète la nue-propriété

 

 

 

Valeur   usufruit (*) :                        44.473,00

Valeur  nue-propriété :   55.527,00

______________

Prix d’achat :                                   100.000,00

 

 

Papa décède à 90 ans dans ce bien (domicile)

Valeur du bien à son décès :        200.000,00

Valeur usufruit sur 20 ans (**) : -108.722,00 _______________

Valeur à déclarer :                            91.278,00

(*) Espérance de vie d’un homme de 75 ans (15 ans) x revenu annuel (4.000) x coefficient table financière à 4 % sur 15 ans (11,11839) = 44.473 euros

(**) revenu annuel (4.000) x coefficient table financière à 4 % sur 20 ans (13,59033) = 54.361,32 (= 54,36132 %) x 2 = 108.722 (valeur adaptée sur base de la valeur en pleine propriété au jour du décès)

La loi, mais pas toute la loi.

Cette taxation s’applique assez souvent car de nombreux héritiers ne retrouvent pas la preuve du paiement de leur part. A chaque fois, c’est l’incompréhension parmi les héritiers qui se sentent pris au piège car les banques ne conservent les extraits de compte que durant une période de 10 ans.

Assez curieusement, cette législation fiscale sur les achats scindés se termine par un article de loi peu connu et royalement ignoré par l’administration, l’article 13 du Code des droits de succession.

Cet article permet cependant d’apporter la preuve « par tous moyens de droit commun, témoins et présomptions compris ».

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L’administration a malgré tout pris pour habitude d’exiger les extraits bancaires et de réfuter toute présomption, comme par exemple le fait que les nus-propriétaires détenaient suffisamment d’actifs financiers au jour de l’achat scindé ou, pire encore, l’indication précise dans l’acte notarié du payement séparé par chaque acquéreur de sa part dans le prix de vente avec mention complète des montants et des numéros de comptes bancaires concernés.

L’administration réfute ces preuves, elle veut une copie de l’extrait de compte, même si la loi offre d’autres moyens de preuve.

Nous estimons que cette position mérite un recours devant la Cour Constitutionnelle, pour cela d’ailleurs, comme pour le fait demander des preuves de paiements bancaires qui remontent à plus de 10 ans, alors que les banques en sont dispensées au-delà de ce délai et que la loi n’impose pas aux particuliers de conserver les pièces comptables de leur gestion privée.

Cet article n'est valide qu'à la date où il a été publié.
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