Isolation du toit d'une copropriété ...à charge de qui ?

Le CRI n°478 - Novembre 2023
Isolation du toit d'une copropriété ...à charge de qui ?

Cette question génère souvent de longs débats et notre Parc Immobilier vieillissant qui nécessite des travaux importants va le rendre encore plus fréquent.

Partons d’un exemple aux fins d’alimenter la réflexion : la toiture d’un immeuble de six étages datant des années 50 doit être refaite...

Le propriétaire du 6ème étage, lors de la présentation du cahier des charges par le syndic, insiste sur la nécessité d’une isolation optimale en-dessous de la toiture, notamment en se référant aux normes à respecter.

Le budget est lié d’une part à la réfection de la toiture et d’autre part à l’isolation qui est présentée distinctement dans le cahier général des charges en discussion.

Les copropriétaires des étages en-dessous du 6ème ne manquent pas de relever que l’isolation profitera presqu’exclusivement au propriétaire de ce 6ème et que, partant, cet investissement complémentaire ne peut être repris comme « charges communes ».

Comment aborder cette question délicate ?

Il importe préalablement de se pencher sur les statuts de l’immeuble et sur l’énumération des parties communes mais il est à craindre, surtout s’il s’agit d’un immeuble ancien, que ceux-ci donnent une description assez générale en intégrant essentiellement dans les parties communes les structures du bâtiment en lien avec le gros œuvre.

On y retrouvera bien naturellement la toiture mais il est vraisemblable que la question de l’isolation ne soit pas abordée.

Les copropriétaires, autres que celui du 6ème, pour s’écarter du support des charges en fonction de leurs quotités, entendront ainsi voir retenue une interprétation restrictive des statuts.

Il en sera d’autant plus ainsi qu’il n’est pas exclu que les quotités de l’appartement du 6ème soient moins importantes et que, partant, celui à qui profitera le plus de l’investissement, devra moins participer à cette dépense.

Les copropriétaires relèveront aussi que les statuts constituent un contrat d’adhésion et qu’ils y ont « adhéré » lors de l’achat en ne pouvant imaginer des dépenses en relation directe avec ce qui était décrit comme parties communes (même si depuis, l’isolation d’un bâtiment a pris une importance considérable).

Ils pourront aussi relever que si, dans les statuts, il a été prévu pour certaines dépenses, telles que l’ascenseur, des répartitions de charges distinctes selon les étages, il a été reconnu une approche liée à l’intérêt que peut représenter une dépense pour un copropriétaire.

Mais le propriétaire du 6ème étage va sans doute alors tenter d’argumenter sur base de l’article 3.84 de la nouvelle loi sur la copropriété identique à l’ancien article 577.3 « Dans le silence ou la contradiction des titres, sont réputés communes les parties de bâtiments ou de terrains affectées à l’usage de tous les copropriétaires ou de certains d’entre eux ».

Le débat n’est pas clos pour autant dans la mesure où les propriétaires des étages en-dessous du 6ème risquent de se livrer à une analyse exégétique… et relever que cette présomption du caractère commun, il ne faut la retenir que pour « l’usage » d’une partie et que, de plus, si l’usage est reconnu, il l’est uniquement pour certains d’entre eux et non pour un seul.

Peut-on considérer qu’une isolation relève de « l’usage » ?

Et si on venait à l’admettre, ne faut-il pas alors relever que cet usage doit servir à plus qu’un propriétaire puisqu’il est fait état, au minimum, de certains d’entre eux ?

Mais le propriétaire du 6ème étage peut ne pas désarmer dans son argumentation et relever que, s’il fait choix de ne pas chauffer son bien, cette absence d’isolation de la toiture va pénaliser en tout cas le copropriétaire du 5ème.

Force est de constater, à l’analyse des arguments ci-avant développés, que la résolution de ce possible différend ne peut intervenir que si on explore une autre piste.

La voie la plus adéquate semble être de combiner deux critères, d’une part celui de l’utilité et, d’autre part, celui des valeurs à la base du calcul des quotités.

Cette combinaison, l’article 3.81 de la nouvelle loi sur la copropriété (ancien article 577/2 §9, al.3, légèrement modifié) du Code Civil la prévoit puisqu’il relève :

" […] Les charges inhérentes à cette Copropriété, notamment les frais d’entretien, de réparation et de réfection, sont réparties en fonction de la valeur respective de chaque bien privatif, sauf si les parties décident de les répartir en proportion de l’utilité de ces accessoires pour chaque bien privatif. Les parties peuvent également combiner les critères de valeur et d’utilité."

ATTENTION toutefois : cette disposition est insérée dans le chapitre portant sur la Copropriété forcée en général et non sur la Copropriété forcée d’immeubles ou groupes d’immeubles bâtis.

Mais rien ne nous paraît interdire que l’Assemblée Générale, vu l’imprécision des statuts, fasse choix de se raccrocher à ces deux critères relevant d’une législation parallèle à celle de la Copropriété forcée des immeubles ou groupes d’immeubles bâtis.

Et quand bien même il viendrait à être soutenu l’illégalité de cette approche ou sa contrariété par rapport aux statuts, encore faut-il rappeler que l’Assemblée Générale est souveraine.

Les Juges de Paix, saisis de plus en plus fréquemment de litiges dans le droit de la Copropriété, le rappellent à bon droit.

Même notre Cour de Cassation, dans un Arrêt de principe important que nous épinglons souvent, a rappelé cette souveraineté :
« Le copropriétaire qui entend invoquer l’irrégularité d’une décision de l’Assemblée Générale doit le faire dans les trois mois (actuellement quatre mois) de sa prise de connaissance de la décision, même si l’irrégularité dénoncée procède d’une contrariété entre une disposition de l’acte de base ou du règlement de copropriété et une disposition impérative de la loi » (Cassation, 04.02.2008, JLMB, 2010/21).

Cela signifie donc que rien n’empêcherait que l’Assemblée Générale puisse statuer en combinant ces deux critères, étant entendu que seul un recours du copropriétaire préjudicié dans le délai des quatre mois permettrait éventuellement une annulation ou réformation de la décision rendue.

Mais encore faut-il rappeler que la compétence du Tribunal de censurer une décision d’Assemblée Générale se conçoit « à la marge ».

Le Tribunal ne peut substituer en pure opportunité son appréciation à celle de l’Assemblée et ne doit sanctionner que la violation caractérisée des concepts juridiques.

Au Tribunal de voir si la décision rendue est frauduleuse, abusive ou irrégulière.

La combinaison des deux critères (valeur et utilité) laisse encore la place pour une négociation importante.

Quel critère sera considéré comme prépondérant ?

Aux Assemblées Générales, dans le respect des règles de majorité, à débattre sereinement de cette question.

Normalement, ce débat, pour les Copropriétés qui, depuis la loi du 2 juin 2010, ont mis sur pied un nouveau règlement, devrait ne pas devoir intervenir puisque le Règlement de Copropriété doit comprendre « des critères motivés et le mode de calcul de la répartition des charges ».

Cette obligation ne s’applique toutefois qu’aux Copropriétés créées après le 1er septembre 2010 ou à celles qui, après cette date, ont revu leur règlement.

Cet article n'est valide qu'à la date où il a été publié.
Vous utilisez un navigateur qui ne prend pas en charge toutes les fonctionnalités du site. Nous vous conseillons de changer de navigateur.
×