La location saisonnière de courte durée dans une copropriété est-elle source de nuisance ?

Le CRI n°462 - Mars 2022
La location saisonnière de courte durée dans une copropriété est-elle source de nuisance ?

La question AIRBNB revient épisodiquement, c’est dire son importance et son actualité, notamment dans les copropriétés, appelées en France « Syndicat des copropriétaires ».

Madame Pascale Burdy-Clément, avocate au Barreau de Lyon, présentait la réalité française du Airbnb dans son article publié dans les magazines LE CRI n° 429 et n° 430 intitulé « Location touristique temporaire et copropriété : le phénomène Airbnb ». Tout en évoquant une décision n° 2014-691 du Conseil constitutionnel du 20 mars 2014, elle s’est particulièrement attardée à l’évolution de la jurisprudence pour mettre en évidence les outils juridiques dont le Syndicat des propriétaires dispose à l’égard du Airbnb.

Le Tribunal judiciaire de Paris a été amené à rendre dans un nouveau cas d’espèce une Ordonnance de référé n° 20/56124 le 12 mai 2021. Cette Ordonnance illustre les tendances actuelles de la jurisprudence (française). Monsieur Paul Gaiardo, Docteur en droit de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, l’a également longuement commentée le 31 mai 2021 dans un article qu’il a intitulé « Airbnb et nuisances : le règlement de copropriété au secours des copropriétaires ».

Bref rappel de l’encadrement des locations saisonnières de courte durée

Les grandes villes françaises et entre autres Paris, soucieuses de l’intérêt général, veillent à encadrer strictement les locations de meublés touristiques de courte durée. Les centres-villes ne peuvent pas être consacrés intégralement à ces locations temporaires de courte durée qui ont pour effets la pénurie de logements et leur désertification par leurs habitants traditionnels.

Les pouvoirs publics ont déjà adopté des mesures :

  • les propriétaires et locataires d’appartement ne peuvent pas louer leur résidence principale plus de 120 jours par an et uniquement avec l’accord des bailleurs pour les locataires concernés,

  • si l’appartement concerné est à l’origine destiné à un usage d’habitation, les candidats à cette activité doivent obtenir préalablement « un changement d’usage avec compensation » pour louer en meublé de tourisme,

  • les plates-formes de location doivent transmettre les informations ad hoc pour que l’Etat et les collectivités puissent s’assurer que les revenus perçus sont bien déclarés et taxés.

Il faut cependant s’attendre à ce que le contrôle public évolue encore. En ce sens, la presse écrite (Le Monde, 7 avril 2021), « Paris veut étudier des quotas par zone pour les meublés touristiques » a révélé qu’une proposition au Conseil de Paris viserait « à expérimenter, en lien avec l’Etat, un système de quotas ou d’interdictions par rue ou par quartier dans les zones tendues de Paris ». L’aménagement du territoire a donc encore de beaux jours devant lui !

Sur le plan privé, les particuliers prennent des mesures pour lutter contre les effets néfastes de l’activité de la location meublée touristique de courte durée au sein des copropriétés et contre les nuisances qu’elle génère auprès de ses occupants. C’est le cadre de l’Ordonnance commentée.

Résumé des faits du cas d’espèce

Les faits litigieux se déroulent dans un immeuble haussmannien de standing du 8e arrondissement de Paris comprenant à front de rue, un bâtiment de 6 étages et en arrière, un bâtiment arrière de 7 étages, avec un règlement de copropriété refondu et encore modifié 2 fois en 2008 par actes authentiques.

Des investisseurs ont acquis dans cette copropriété P. plusieurs lots qu’ils proposent en appartements meublés à la location destinée à une clientèle touristique de passage sur diverses plates-formes dont Airbnb.

Le choix de clientèle s’avère peu heureux. De multiples nuisances y sont dénoncées : dégradations de l’ascenseur, drogues, étalage de sous-vêtements, vomissements, détritus abandonnés, urines, etc. de tapage nocturne fréquent qui gêne les occupants et particulièrement la concierge qui s’en plaint.

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L’assemblée générale de la copropriété P. estime que l’activité exercée est non conforme au règlement de copropriété, à l’état descriptif de division de l’immeuble et qu’elle crée de graves nuisances. Elle décide d’agir à l’encontre des copropriétaires investisseurs, défendeurs à la cause, pour faire cesser les nuisances liées aux locations de courte durée sous astreinte en saisissant le juge des référés du Tribunal judiciaire de Paris.

Demandes du Syndicat des copropriétaires P.

Elle verse aux débats plusieurs pièces sous la forme de constats d’huissier, photographies et attestations. Elle demande notamment :

  • à titre principal, d’ordonner aux copropriétaires bailleurs de cesser leurs activités de location saisonnière, exploitation para-hôtelière, prestations d’hébergement fournies dans des conditions proches de l’hôtellerie, prestations d’hébergement para-hôtelière dans leurs lots, le tout sous astreinte journalière par infraction constatée ET d’ordonner la restitution aux lieux litigieux de leur usage de bureaux,

  • à titre subsidiaire, d’ordonner aux défendeurs de cesser l’ensemble des troubles et nuisances qu’ils provoquent, sous astreinte journalière par infraction constatée.

Demandes des défendeurs copropriétaires

Déclarer les demandes irrecevables pour défaut d’intérêt d’agir et constater l’absence de preuve des nuisances alléguées.

En droit français

L’article 835 du code de procédure civile prévoit que le président du tribunal est compétent pour prescrire des mesures conservatoires ou des mesures de remises en état pour prévenir un dommage imminent ou pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Le dommage imminent s’entend du « dommage qui n’est pas encore réalisé mais qui se produira sûrement si la situation présente doit se perpétuer ».

Le trouble manifestement illicite résulte de « toute perturbation résultant d’un fait qui directement ou indirectement constitue une violation évidente de la règle de droit ».

Donc, si l’imminence du dommage et l’urgence dans sa survenance certaine sont établies, une mesure de cessation des troubles peut être prononcée.

Quant au trouble manifestement illicite résultant de la violation du règlement de copropriété, la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 et précisément les articles 2, alinéa 2, les articles 8, 9 et 26, alinéa 2 sont d’application.

La liberté d’usage et de jouissance des parties privatives y est consacrée MAIS elle est tempérée par le droit concurrent des autres copropriétaires et par l’intérêt supérieur de l’immeuble résultant de sa destination.

Le règlement de copropriété détermine la destination des parties privatives et des parties communes. Il ne peut imposer aucune restriction aux droits des copropriétaires en dehors de celles qui seraient justifiées par la destination de l’immeuble définies par les actes, ses caractères ou sa situation.

C’est donc le règlement de copropriété qui détermine la destination des parties privatives et les conditions de leur jouissance. La destination de l’immeuble peut justifier les restrictions apportées aux droits des copropriétaires ou leur permettre de prendre certaines initiatives.

Discussions

Quant à la fin de non-recevoir tirée du défaut d’intérêt d’agir, les nuisances reprochées, notamment l’encombrement des halls et couloirs communs par des valises, la destruction des marches de l’escalier, la destruction du sol par roulettes des valises et l’abandon de déchets dans les communs sont établies à suffisance par diverses pièces versées aux débats telles des constats d’huissiers, des photographies et autres attestations et plaintes.

« Ces nuisances sont de nature à atteindre indivisiblement l’ensemble des parties communes et privatives » et infèrent que le demandeur a intérêt à agir pour faire cesser les nuisances liées à la location saisonnière et pour saisir le juge des référés pour faire cesser par les défendeurs l’activité de location saisonnière ».

Quant au fond, relativement au trouble manifestement illicite résultant de la violation du règlement de copropriété,

  • le règlement de copropriété relève quant aux parties privatives que « chacun aura le droit de jouir, … en toute propriété, à la condition de ne pas nuire aux propriétaires des autres lots et ne rien faire qui puisse compromettre la solidité ….ni nuire à son esthétique, et sous les réserves ci-après…. que l’occupation ne devra pas être dangereuse ou gênante pour les autres copropriétaires, entre autres par le bruit de la réception de nombreux clients … » et quant aux parties communes, « Encombrement des parties communes : Aucun… occupant de l’immeuble ne devra encombrer les entrées, vestibules, escaliers, paliers, couloirs ou toutes autres parties communes des bâtiments… ».

  • En vertu du règlement de copropriété de l’immeuble, « chaque appartement et chambre peut être affecté à un usage bourgeois, professionnel ou commercial ».

A ce stade, il faut observer qu’en 2008, moment où le règlement de copropriété était refondu, que ses modifications intervenaient et que les plateformes de location temporaire se développaient, le règlement de copropriété a maintenu l’autorisation de l’affectation des lots à un usage professionnel ou commercial et n’interdit pas expressément la location en meublé touristique. De ce fait, le Tribunal qui pourrait raisonnablement s’interroger quant à la possibilité que les propriétaires se réservaient de louer à des touristes ne met pas en cause l’activité commerciale en tant que telle. Elle n’est pas contraire au règlement de copropriété. MAIS, elle est encadrée au regard notamment de la destination mixte de l’immeuble et de la nécessité d’assurer la tranquillité des habitants de l’immeuble.

Or, l’activité de location saisonnière telle que pratiquée par les défendeurs occasionne des nuisances répétées, les lots étant loués régulièrement en courte durée notamment à des personnes qui organisent des soirées se prolongeant tard dans la nuit, accompagnées de musique à haut volume, de bruits ainsi que de multiples allées et venues dans l’immeuble contrevenant à la tranquillité de l’immeuble et gênant les autres occupants en violation des stipulations du règlement de copropriété.

Le tribunal apprécie les faits dénoncés et constatés en droit. Il retient qu’ils nuisent aux autres copropriétaires et sont constitutifs de nuisances et partant, de troubles manifestement illicites. Selon le Docteur Gaiardo, il s’agit même d’une « violation des devoirs généraux de comportement stipulés dans le règlement de copropriété ».

Le Tribunal constate que les diverses mises en demeure de la copropriété et de copropriétaires restent vaines et sans effet.

Les faits persistent en abondance. Ils sont documentés à suffisance par des constats d’huissiers, des photographies et autres attestations et plaintes. Ils sont alors qualifiés de nuisances, causées par la clientèle des défendeurs. Il constate qu’ils persistent au moment de l’examen de l’affaire. Ils constituent dès lors un trouble manifestement illicite au sens des textes.

La décision du 12 mai 2021

Tout en retenant les griefs et en les appréciant en fait, le tribunal se déclare compétent pour prendre toutes mesures nécessaires pour faire cesser le trouble.

L’activité dénoncée constitue une violation des stipulations du règlement de copropriété et partant, elle cause un trouble manifestement illicite au sens des dispositions légales évoquées.

Pour faire cesser ces troubles et nuisances liés à l’activité de location saisonnière telle que pratiquée par les défendeurs, il prononce une interdiction. Il ordonne aux défendeurs de cesser pour une période de 16 mois leurs activités de location saisonnière, exploitation para-hôtelière, prestations d’hébergement fournies dans des conditions proches de l’hôtellerie, prestations d’hébergement para-hôtelière au sein des lots visés, le tout sous astreinte de 700 € par jour et par infraction constatée (par voie d’huissier de justice).

En revanche, l’interdiction définitive de l’activité de location saisonnière nécessite une interprétation du règlement de copropriété relevant du seul pouvoir du juge de fond.

Conclusions

L’examen du cas d’espèce soulève la question de l’exercice, en copropriété, dans le cadre très spécifique des locations saisonnières de courte durée, du droit de jouissance des parties communes et privatives. Tout en appliquant la règle selon laquelle « le copropriétaire ne peut pas nuire aux droits des autres copropriétaires », il rappelle l’équilibre nécessaire à maintenir entre le droit privatif et exclusif de chacun de jouir de son lot et le droit concurrent des autres propriétaires et occupants ainsi que le respect dû à la destination définie par les statuts à l’immeuble en copropriété.

Cette affaire illustre le droit et la possibilité pour une copropriété malheureuse d’obtenir si nécessaire la cessation temporaire, éventuellement définitive, d’une jouissance très (trop) libre de son lot privatif lorsque le règlement de copropriété n’est pas du tout respecté ou quand ladite jouissance n’est pas conforme au règlement de copropriété.

Ce cas d’espèce pose la problématique des clauses relatives à la destination, l’occupation et la jouissance des lots privatifs et des parties communes. Souvent considérées comme des clauses de style et sans portée pratique, elles rappellent opportunément des standards de comportement attendu dans toute vie en communauté et relèvent souvent de la politesse élémentaire, du savoir-vivre et de la délicatesse. Citant le Docteur Gaiardo, elles « viennent contractualiser des devoirs qui sont bien plus moraux que juridiques ». Ce n’est pas négligeable.

C’est aussi l’occasion de souligner l’importance d’une rédaction soigneuse et minutieuse de ces clauses « d’usage bourgeois » dans les règlements de copropriété, voire des règlements d’ordre intérieur.

Et à défaut, il est nécessaire de recourir à l’interprétation judiciaire pour rechercher au-delà des mots la volonté réelle des rédacteurs.

Enfin, dans un autre registre se pose sans doute la question de la proportionnalité de la sanction de la cessation de l’activité en opposition avec le droit d’entreprendre des copropriétaires interdits du droit temporaire d’exploiter leur investissement.

Cet article n'est valide qu'à la date où il a été publié.
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