Troubles de fait d'un locataire dans une copropriété

Le CRI n°481 - Février 2024
Troubles de fait d'un locataire dans une copropriété

Avant tout développement, il importe de rappeler ce qui suit : le choix d’une habitation en copropriété doit impliquer, dans le chef des occupants, une tolérance autre que celle d’un logement individuel. Ainsi, un trouble subi par un occupant en copropriété pourrait être reconnu comme « acceptable », étant la contrepartie légitime d’un choix de vivre à proximité immédiate d’autres personnes et ce trouble peut être apprécié différemment en fonction de certains critères tels que la date de construction ou le standing de l’immeuble.

Quant à la difficulté de définir le trouble

Ainsi, pour exemple, il n’est pas rare que certains copropriétaires doivent supporter des bruits de déplacement de chaises du résident habitant l’étage supérieur au vu de la qualité du matériau phonique peu performant alors en vigueur au moment de la construction.

Relevons aussi qu’en cas de litige, le trouble peut être apprécié différemment suivant les magistrats, leurs pouvoirs étant donc particulièrement grands dans l’analyse d’une situation de fait.

Il peut donc être utile de définir à tout le moins les contours de ce qui pourrait constituer un trouble, éventuellement par les documents de la copropriété.

Le choix de la vie en commun impose certes une grande tolérance mais aussi le respect de règles.

Quant à l’intérêt pour la copropriété (en ce compris pour le bailleur d’un appartement en copropriété) de voir défini le mode d’occupation des parties privatives

A titre purement exemplatif, il sera relevé un type de clauses utiles trouvées dans un règlement.

« Principes :

Les copropriétaires, leurs locataires, et autres occupants de l’immeuble, devront toujours habiter l’immeuble bourgeoisement et honnêtement et en jouir suivant la notion juridique du bon père de famille.

Aucun fait nuisible à la bonne tenue de l’immeuble ou contraire à la morale ne sera toléré.

Ils devront veiller à ce que la tranquillité de l’immeuble ne soit en aucun moment troublée par leur fait, celui des personnes de leur famille, de leurs locataires ou visiteurs ou clients.

Ils ne peuvent faire ou laisser faire aucun bruit anormal. L’emploi des instruments de musique et notamment les appareils de téléphonie sans fil et de télévision est autorisé mais les occupants qui les font fonctionner sont tenus formellement d’éviter que le fonctionnement de ces appareils incommode les autres occupants de l’immeuble et cela quel que soit le moment du jour ou de la nuit.

S’il est fait usage, dans l’immeuble, d’appareils électriques produisant des parasites, ces appareils devront être munis de dispositifs supprimant ces parasites ou les atténuant de telle manière qu’ils n’influent pas la bonne réception radiophonique ou sur la bonne réception des images télévisées.

Aucun moteur ne peut être placé dans l’immeuble à l’exclusion de ceux actionnant les ascenseurs, les appareils de chauffage électriques, les appareils de nettoyage par le vide, les appareils ménagers, les ventilateurs et autres appareils communs de l’immeuble et ceux nécessaires à l’exercice d’une profession autorisée et dans les conditions arrêtées ci-après. De toute façon, ces moteurs devront être dotés d’un dispositif antiparasite.

Le titulaire d’une profession libérale tel que par exemple un dentiste utilisant du matériel qui, par sa nature même, provoquerait des vibrations, sifflements ou bruits quelconques, devra prendre toutes mesures afin que ces bruits ne dépassent pas les limites d’un usage rationnel pendant la journée. Dès 21 heures, tous ces appareils devront cesser de fonctionner.

Interdictions :

L’immeuble est destiné à servir de « résidence privée ».

Sous réserve des dérogations résultant des articles ci-après et du présent règlement, il est formellement interdit d’affecter ou de laisser affecter les locaux, tant communs que privatifs de l’immeuble à :

  1. Aucun établissement dangereux, insalubre ou contraire à la morale ;

  2. Aucun établissement industriel ;

  3. Aucun établissement qui, par bruits, odeurs, émanations ou autrement, pourrait être de nature à incommoder soit les occupants de l’immeuble, soit les voisins ;

  4. Aucun hôtel-restaurant, pension de famille, tea-room, salon de dégustation, café, autre débit de boissons ou d’alimentation ;

  5. Aucune salle publique de cinéma, projections spectacles, danses, auditorium, réunions publiques, local public ou conventionnel ;

  6. Les occupants devront veiller à ce qu’il ne soit déposé dans les caves à provisions, aucune matière malodorante ou denrées en état de décomposition ;

  7. L’énumération des interdictions ci-dessus est exemplative et non limitative.

Exercice de professions libérales :

Par dérogation à l’article précédent, est autorisé dans les appartements l’exercice de certaines professions libérales, telles que médecins, dentistes, avocats, notaires, ingénieurs, architectes, géomètres, traducteurs ou autres professions libérales.

L’exercice d’autres professions libérales doit être expressément admis par l’Assemblée Générale des Copropriétaires statuant à la majorité simple.

Il sera toutefois interdit d’employer, dans l’immeuble, dans l’exercice d’une profession libérale autorisée, plus de deux employés.

Rien ne s’oppose à ce qu’une même profession libérale autorisée soit exercée par deux ou plusieurs occupants de l’immeuble ».

Voilà bien naturellement des dispositions particulièrement restrictives qui ne peuvent s’appliquer qu’à un certain type de résidences.

 L’utilité d’un tel règlement est laissée à l’appréciation de l’Assemblée Générale, les dispositions qui le contiennent étant à caractère personnel.

 Dans ce règlement d’ordre intérieur, nous pouvons aussi trouver des dispositions particulièrement précises et variées portant, à titre purement exemplatif :

  • Sur le bon fonctionnement du système d’alarme des appartements (pour ne pas constamment perturber les autres copropriétaires) ;

  • Sur le modèle des rideaux aux fenêtres extérieures (pour assurer une harmonie) ;

  • Sur l’interdiction de faire sécher du linge sur les terrasses ou d’attirer les oiseaux par de la nourriture posée sur celles-ci ;

  • Sur la possession exclue ou limitée de certains animaux ;

  • Sur les conditions à respecter lors d’emménagements ou de déménagements (avec éventuelle exclusion de l’ascenseur) ;

  • Sur la nécessité d’avertissement immédiat auprès du syndic en cas de perte de la clé de la porte d’entrée de l’immeuble ;

  • Etc.

L’article 3.93 § 1 relève :

 « Les dispositions des statuts peuvent être directement opposées par ceux à qui elles sont opposables et qui sont titulaires d’un droit réel ou personnel (c’est nous qui soulignons) sur l’immeuble en copropriété »

 Il en résulte dès lors que le règlement de copropriété, qui fait partie des statuts, peut être vanté tant par le copropriétaire bailleur que par le copropriétaire préjudicié ou l’Association des Copropriétaires (voir développement infra) à l’égard du « fauteur » de troubles.

Il en est de même en ce qui concerne les décisions de l’Assemblée Générale ou les dispositions du règlement d’ordre intérieur puisque l’article 3.93 § 5 relève :

 « Toutes dispositions du règlement d’ordre intérieur et toutes décisions de l’Assemblée Générale peuvent être directement opposées par ceux à qui elles sont opposables ».

Quant à la partie habilitée à agir en cessation de ces troubles 

Trois parties distinctes nous apparaissent pouvoir procéder judiciairement si, nonobstant les multiples avertissements donnés, l’occupant locataire reste en défaut de cesser ces troubles.

  1. Le propriétaire pourrait certes relever le non-respect de l’obligation d’user de la chose louée en bon père de famille, et suivant la destination qui lui a été donnée par le bail, ou suivant celle présumée d’après les circonstances, mais il pourrait alors lui être objecté que cette disposition est une disposition relative à sa relation contractuelle avec le preneur et que, de surcroît, le trouble subi ne lui cause pas directement préjudice.

    Il sera donc mieux inspiré s’il brandit l’existence du règlement qui, s'il n’est pas respecté, pourrait générer en son chef un préjudice consécutif à une action intentée par la copropriété contre lui-même pour ne pas avoir pris toutes dispositions utiles pour faire cesser le trouble.

  2. Pourrai(en)t aussi agir le(s) copropriétaire(s) ou occupant(s) voisin(s) du locataire responsable du trouble en mettant en avant le règlement non respecté et le préjudice direct subi mais il faut reconnaître que ce parcours procédural, avec les inconvénients et les frais qui en résultent ainsi qu’avec la tension susceptible de naître pendant le procès est « lourd » à supporter par une seule personne.

  3. Aussi, la partie la plus indiquée pour mener la procédure, si elle s’impose, reste l’Association des Copropriétaires.

La copropriété en poche
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5ème édition - Mise à jour octobre 2021
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Suite à la réforme de la loi du 2 juin 2010, l’Association des Copropriétaires est devenue l’interlocuteur « privilégié » pour des raisons évidentes de bonne gestion des copropriétés.

Le législateur a voulu donner à l’Association des Copropriétaires, personnalité juridique, un rôle déterminant en lui donnant même le droit d’agir en vue de la sauvegarde de tous les droits relatifs à l’exercice, à la reconnaissance ou à la négation de droits réels ou personnels sur les parties communes, ou relatives à la gestion de celles-ci.

Elle est réputée avoir la qualité et l’intérêt requis pour la défense de ses droits (voir article 3.92 § 1 alinéa 2).

Mais il est vrai qu’il faut démontrer que le trouble dénoncé n’est pas exclusivement subi dans une partie privative.

L’exemple du bruit des chaises déplacées subi par l’occupant de l’étage inférieur ne permettrait pas à l’Association des Copropriétaires d’agir sur base de cette disposition légale.

Par contre, le cas d’odeurs nauséabondes consécutives au placement des poubelles dans un lieu ne convenant pas ou l’hébergement de personnes non désirables dans un appartement avec va-et-vient constant dans les parties communes pour y accéder justifie une demande de l’Association des Copropriétaires. C’est la localisation totale ou partielle des troubles subis qui peut justifier le droit d’action de l’A.C.P.

Ladite A.C.P. sera utilement représentée par son syndic.

Celui-ci devra-t-il préalablement recevoir mandat de l’Assemblée Générale ?

Si le mandat donné est bien naturellement une voie plus sûre pour éviter des contestations portant sur la recevabilité de la demande, il ne nous apparaît pas, lorsqu’il y a urgence (tel est le cas du trouble manifeste) qu’il faille imposer au syndic la réunion d’une Assemblée Générale Extraordinaire pour mettre fin à une situation de troubles.

Selon l’article 3.89 § 4.2, le syndic doit « accomplir tous actes conservatoires et tous actes d’administration provisoire ».

En l’espèce, la gravité du trouble peut exiger une intervention immédiate s’il y a mise en cause d’un usage normal des parties communes.

Relevons aussi l’article 3.92 § 1 prévoyant, en son alinéa 3, la possibilité pour le syndic d’introduire toute demande urgente ou conservatoire en ce qui concerne les parties communes, à charge d’en obtenir ratification par l’Assemblée Générale dans les plus brefs délais.

Mais il nous apparaît que la question de la ratification est indépendante du droit à agir et concerne exclusivement mandant/mandataire (soit l’Association des Copropriétaires d’une part et syndic d’autre part).

Quant à la mesure pouvant être ordonnée à charge de l’auteur des troubles

Sur ce point, les juridictions cantonales, conscientes de l’intérêt du respect de règles élémentaires pour une vie en copropriété harmonieuse, apparaissent vouloir faire preuve d’une certaine audace.

La mesure classique est certes celle de l’astreinte fixée à charge de l’auteur de troubles, astreinte consistant en la condamnation à une somme d’argent par trouble constaté.

Mais cette voie, fut-elle utile pour exercer une pression optimale, pose question dans la mesure où il faut encore, au moment où le trouble se présente, pouvoir le constater utilement, éventuellement par un procès-verbal d’huissier.

Cela n’est pas évident, génère des frais et peut même être impossible lorsque ledit trouble intervient à une heure tardive ou est très limité dans le temps.

Une voie autrement plus énergique est celle d’une demande d’expulsion du preneur.

Celle-ci est bien naturellement réservée aux troubles importants ou répétés.

C’est ainsi qu’il fut jugé, dans un cas de troubles graves :

« S’il est vrai que l’Association des Copropriétaires n’a pas de relation contractuelle directe avec le locataire, le règlement général de copropriété est toutefois opposable aux occupants de l’immeuble, en sorte que l’Association des Copropriétaires peut solliciter en justice toutes mesures nécessaires (c’est nous qui soulignons) en vue du respect du règlement, en ce compris une mesure qui concernerait un locataire. En conséquence, le Tribunal autorise l’Association des Copropriétaires de l’immeuble à faire procéder, si nécessaire et à sa seule initiative, à l’expulsion » (J.P. UCCLE, 13/12/2000 ; R.C.D.I. 2006-2, page 29).

Lorsqu’une telle demande est formulée par l’Association des Copropriétaires, il importe que celle-ci prenne l’initiative de mettre également à la cause le propriétaire qui a fait choix de ne pas agir directement dans la mesure où, par cette mesure, il le prive du droit de toucher les loyers.

Celui-ci doit donc pouvoir exprimer également son point de vue mais il ne nous apparaît pas que l’article 3.50 du Code Civil (droit de jouir et de disposer du bien) puisse faire obstacle à la demande de l’Association des Copropriétaires en cas de troubles ne permettant pas la poursuite d’une vie harmonieuse au sein de la Copropriété.

Quant au mode de preuves pouvant être utilisé pour démontrer le trouble 

La présente contribution se terminera par un point essentiel. Comment convaincre un Tribunal, si la voie judiciaire est inévitable, de l’existence de ce trouble qui sera sans doute contesté par son auteur ?

Faudra-t-il recourir aux témoignages avec le maintien d’un procès pendant de longs mois et une tension vive au sein de la copropriété avec d’éventuelles représailles provenant de la partie citée en justice ?

L’article 961/1, 961/2 et 961/3 du Code Judiciaire a assoupli le régime de la preuve et permet au magistrat de recevoir des déclarations de tiers, sous forme d’attestations, de nature à l’éclairer sur les faits litigieux dont lesdits tiers ont personnellement connaissance.

C’est l’Association des Copropriétaires qui est demanderesse et non les copropriétaires qui, dans le litige, quand bien même ils sont vivement intéressés, gardent la qualité de tiers et pourraient donc rédiger des attestations

Si lesdites attestations sont multiples et relatent de manière personnelle à chacun, avec une grande précision tant la nature du trouble que sa localisation et sa date, le juge pourrait considérer ce mode probatoire comme suffisant sans avoir recours à de longues enquêtes.

Il faut rappeler à cet effet que lesdites attestations doivent remplir une série de conditions, être écrites de la main de celui qui atteste et reprendre la mention suivante :

« L’attestation indique en outre qu’elle est établie en vue de sa production en justice et que son auteur a connaissance qu’une fausse attestation de sa part l’expose à des sanctions pénales ».

Il nous apparaît que cette technique probatoire est particulièrement utile dans la matière ci-avant exposée.

Conclusion

Cette étude fut axée sur le mode de résolution des litiges nés des troubles commis en reprenant l’intérêt d’insertion de clauses utiles dans les documents de copropriété et en prévoyant, s’il y a lieu, le recours au mode judiciaire.

Mais nous sommes conscients d’avoir omis une autre approche pourtant déterminante : celle du dialogue préalable via le syndic avec le responsable des troubles et, en cas de blocage, celui de la médiation.

Ces voies doivent évidemment être préalablement tentées mais elles doivent l’être rapidement sous peine de voir la copropriété subir injustement le diktat d’un seul.

Si, après ces voies tentées, aucune amélioration sensible n’est relevée, le syndic nous apparaît devoir prendre rapidement les initiatives utiles.

Que de copropriétaires sont minés par des troubles incessants portant atteinte non seulement à la valeur de leur bien (certains, lassés, envisagent même de revendre) mais aussi à leur santé.

Le choix de la vie en commun impose certes une grande tolérance mais aussi le respect de règles.

Les Juges de Paix, par le biais de mesures pouvant parfois apparaître radicales (mesures allant jusqu’à l’expulsion), en sont heureusement de plus en plus conscients.

Cet article n'est valide qu'à la date où il a été publié.
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