Patatras 4 : Les bailleurs lésés peuvent faire valoir leur droit contre la région de Bruxelles-Capitale

Le CRI n°466 - Septembre 2022
Patatras 4 :  Les bailleurs lésés peuvent faire valoir leur droit contre la région de Bruxelles-Capitale

La Cour constitutionnelle a rendu le 14 juillet dernier un arrêt rejetant le recours du SNPC contre l’ordonnance du Parlement bruxellois validant les pouvoirs spéciaux ayant permis les moratoires sur les expulsions pendant le premier confinement Covid. La Région wallonne avait fait intervention à la cause. Le SNPC était défendu par Maître Jean-Marc RIGAUX.

Rappelons cependant à propos des périodes de suspension des expulsions durant le Covid, que le SNPC, dans le contexte sanitaire que nous avons connu, comprenait fort bien que des mesures soient prises. Si la Région wallonne l’a fait de manière raisonnable et limitée, tel n’a pas été le cas de la Région de Bruxelles-Capitale entraînant un préjudice certain pour les bailleurs concernés.

Certes, nous n’avons pas obtenu pleine et entière satisfaction mais l’arrêt contient différents développements qui ne vont pas faire plaisir à celles et ceux qui en Région de Bruxelles-Capitale multiplient les attaques vis-à-vis des bailleurs et nous pensons à la Secrétaire d’Etat Nawal BEN AMOU et au professeur Nicolas BERNARD.

Tout d’abord, les exceptions d’irrecevabilité soulevées par la Région wallonne et la Région de Bruxelles-Capitale vis-à-vis du SNPC et des bailleurs individuels agissant à ses côtés ont été rejetées. Tant le SNPC que les propriétaires étaient recevables à agir.

Ensuite sur le fond, le SNPC contestait le fait pour la Région de Bruxelles-Capitale de pouvoir prendre des mesures de suspension de décisions de justice outrepassant ses compétences.

Notre moyen a été rejeté mais il contient un attendu assez intéressant :

« Eu égard à l’objectif du législateur spécial, mentionné en B.9, de transférer aux régions « [la] totalité des règles spécifiques concernant la location de biens ou de parties de biens destinés à l’habitation », en particulier les règles concernant « l’éviction » et « l’indemnité en cas d’éviction », les régions sont compétentes, en vertu de l’article 6, §1er, IV, de la loi spéciale du 8 août 1980, pour fixer les conditions auxquelles les expulsions dans le cadre d’un contrat de bail d’habitation peuvent être imposées et exécutées. Cette compétence ne va pas jusqu’à permettre d’entraver l’exécution en tant que telle de décisions judiciaires, ce qui serait contraire tout à la fois au principe fondamental de l’ordre juridique belge selon lequel les décisions judiciaires ne peuvent être modifiées que par la mise en œuvre des voies de recours et aux règles répartitrices de compétence. Toutefois, un report temporaire, dans des circonstances exceptionnelles, de l’exécution des décisions judiciaires d’expulsion, tel que le prévoit la disposition attaquée, ne porte pas fondamentalement atteinte à ce principe et à ces règles. ».

En résumé, la Cour considère que la séparation des compétences est bien nette entre le pouvoir régional et le pouvoir judiciaire et que le pouvoir exécutif ne peut pas entraver l’exécution des décisions judiciaires.

Le SNPC a donc raison sur le fond.

Cependant, pour des raisons manifestement politiques, la Cour Constitutionnelle estime qu’un report temporaire dans des circonstances exceptionnelles peut se justifier.

Cet attendu va être extrêmement utile au SNPC qui s’oppose au projet d’ordonnance dont nous avons déjà parlé dans LE CRI et par lequel la Région entend revoir entièrement les procédures contentieuses devant les Juges de Paix et plus précisément en cas de non-paiement par un locataire de ses loyers. Il est question de rallonger les délais de procédure aggravant le préjudice des bailleurs, de retenir un moratoire hivernal etc. Nous renvoyons au CRI du mois de juin pour plus de détails.

Il y est même question d’inviter les Juges de Paix à être plus attentifs au droit au logement qu’au droit de propriété en dehors de tout équilibre entre les droits des parties qui doit prévaloir dans une procédure en justice.

Enfin, La Cour Constitutionnelle va admettre la mesure prise par la Région de Bruxelles-Capitale et va considérer qu’une durée totale de suspension de cinq mois dans des circonstances exceptionnelles n’est pas excessive. Elle considère donc que la mesure est légale et non annulable.

Néanmoins, la Cour va s’interroger sur le juste équilibre entre d’une part les intérêts du locataire et d’autre part ceux du bailleur.

Elle précise en effet : « Il appartient cependant à la Cour de vérifier si, par l’adoption de la disposition attaquée, la Région de Bruxelles-Capitale a effectivement ménagé un juste équilibre entre d’une part, les intérêts du locataire d’un bien immeuble dont l’expulsion est interdite et, d’autre part, les intérêts du propriétaire-bailleur, afin que les mesures ne causent pas une restriction excessive au droit au respect des biens du second. ».

La Cour Constitutionnelle rappelle un avis de la section de législation du Conseil d’Etat à savoir l’existence d’un « mécanisme d’indemnisation approprié nécessaire au regard de la restriction au droit de propriété du propriétaire bailleur ».

La Cour Constitutionnelle insiste sur la nécessité d’une compensation pour les citoyens lésés par cette mesure :

« Enfin, conformément à l’article 144 de la Constitution, il appartient au juge ordinaire d’apprécier si une indemnisation sur la base du principe de l’égalité des citoyens devant les charges publiques est justifiée, et il lui appartient également d’en fixer le montant.
En vertu de ce principe, l’autorité ne peut, sans compensation, imposer des charges qui excèdent celles qui doivent être supportées par un particulier dans l’intérêt général. Il découle de ce principe que les effets préjudiciables disproportionnés – c’est-à-dire le risque social ou entrepreneurial extraordinaire s’imposant à un groupe limité de citoyens ou d’institutions – d’une mesure de coercition qui est en soi régulière ne doivent pas être mis à charge des personnes lésées, mais doivent être répartis de manière égale sur la collectivité.

Une compensation en vertu de ce principe n’est requise que lorsque et dans la mesure où les effets de la mesure excèdent la charge qui peut être imposée à un particulier dans l’intérêt général. Il appartient au juge ordinaire d’apprécier in concreto, en tenant compte de tous les aspects particuliers et publics de chaque cas, si la charge qui résulte de la disposition attaquée pour le bailleur peut faire l’objet d’une compensation
. ».

En conclusion, si notre recours est donc rejeté en ce sens que la Cour n’annule pas une décision qui, de toute façon, n’a plus d’effets ; l’arrêt de la Cour Constitutionnelle est extrêmement utile dans la mesure où, d’une part il rappelle les principes et fixe les limites et d’autre part, ouvre la voie à une indemnisation devant le juge ordinaire, de manière formelle.

La base juridique de ces éventuelles actions civiles ne serait donc pas l’article 1382 du Code civil puisque la Cour Constitutionnelle considère que la mesure était régulière.

Par contre, le principe d’égalité des citoyens devant les charges publiques est une base pour l’indemnisation des propriétaires qui pourraient démontrer avoir subi une perte financière.

L’arrêt de la Cour Constitutionnelle est évidemment essentiel comme fondement à ces actions.

Le SNPC va dès lors dans les prochaines semaines sensibiliser les bailleurs concernés et envisager avec eux des actions contre la Région de Bruxelles-Capitale.

Cet article n'est valide qu'à la date où il a été publié.
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