La crise du logement en France

Le CRI n°480 - Janvier 2024
La crise du logement en France

La France connaît actuellement une grave crise du logement sur tout son territoire. La Fondation Abbé Pierre estime à 12 millions le nombre de personnes directement ou indirectement touchées. Les causes de cette grave problématique ne sont pas sans rappeler la situation qui semble s’installer progressivement en Belgique.

La situation actuelle française

La crise actuelle du logement en France se caractérise par un nombre croissant de personnes qui ne trouvent pas un logement adéquat. La Fondation Abbé Pierre dans son dernier rapport avance le chiffre de 4,1 millions de personnes mal logées ou en absence de logement en France en 2022. Par ailleurs, 2,5 millions de personnes seraient en attente de l’attribution d’un logement social. Le délai d’attente peut aller jusqu’à 8 ans. Il y a donc un nombre très important de français et française qui cherchent actuellement à (mieux) se loger.

D’autre part, la FNAIM (la Fédération Nationale de l’Immobilier) annonce dans son dernier sondage que 73% des agences constatent une diminution des biens offerts à la location et cette baisse serait évaluée à 34% en 2022 par rapport à 2021. Selon les chiffres de Seloger.com, il y a une diminution de 18% du nombre de logements disponibles à la location. De plus, la vente immobilière est en net recul puisque la vente d’appartement neuf aurait chuté de 24% entre 2021 et 2022 tandis que pour les logements individuels, une baisse de 31% aurait été constatée en 2022.

Comment expliquer cette situation ?

La crise française est évidemment mutlifactorielle. Sans chercher à l’exaustivité, nous allons examiner plusieurs facteurs clés régulièrement mis en avant par les spécialistes français et qui pourraient être analysés au regard de la situation belge.

Premier facteur : un durcissement de l’accès à la propriété

L’accès à la propriété immobilière s’est très largement réduit depuis quelques années et particulièrement depuis l’épidémie de COVID-19. Le responsable tout désigné est évidemment le durcissement des capacités de crédit par la hausse des taux d’intérêts, réduisant les possibilités d’achat.

Les primo acquéreurs ne sont pas les seuls concernés car lorsqu’un propriétaire souhaite par exemple vendre son bien actuel pour acquérir un bien plus adapté à sa situation de famille, ses conditions de crédit seront également plus contraignantes que par le passé et il ne sera pas en mesure de vendre son immeuble actuel à un prix utile comme nous le verrons ci-après.

Deuxième facteur : la saturation du parc social

Le deuxième facteur de la crise réside dans le fait que le parc social français est très largement saturé. Comme nous l’évoquions en introduction, 2,5 millions de personnes sont en attente de l’attribution d’un logement social, avec un délai pouvant atteindre 8 ans. Les constructions entreprises pour créer des nouvelles places sont très largement insuffisantes pour satisfaire les demandes. En outre, la rotation des occupants est en nette baisse (7,8% en 2022) ce qui signifie que les logements existants ne génèrent pas assez de nouvelles places pour faire face aux demandes.

Troisième facteur : le ralentissement de la construction

En France, il est nécessaire de construire ou rénover 518.000 logements par an jusque 2040 pour faire face à la demande. Or, actuellement le rythme moyen est de 350.000 à 400.000. Il y a donc une différence de 150.000 logements par an qui ne sont pas construits ou rénovés. Ce sont autant de familles qui ne peuvent être (correctement) logées.

Quatrième facteur : les mesures qui découragent des propriétaires bailleurs

De nombreuses normes ont été prises ces dernières années, lesquelles ont eu pour effet de mettre directement les propriétaires occupants ou bailleurs à contribution (financière) ou face à des difficultés croissantes. Ces mesures ont pour conséquence directe de décourager l’investissement locatif.

La loi de performance énergétique des bâtiments qui impose aux propriétaires bailleurs de mener des rénovations parfois lourdes pour pouvoir poursuivre la location est évidemment connue de tous dans l’hexagone. Les obstacles à l’application sur le terrain sont légion : difficulté financière, hausse des taux d’intérêts des prêts travaux, hausse des coûts de la construction, marché saturé, nécessité d’un accord de la copropriété pour mener des travaux importants, délai de traitement des demandes de primes, etc.

Il n’y a toutefois pas que la rénovation qui pèse lourd dans la balance. En effet, plusieurs mesures financières poussent les bailleurs à reconsidérer leur investissement : certaines municipalités ont augmenté parfois drastiquement la taxe foncière, une vingtaine de villes ont mis en place le plafonnement des loyers, absence de lutte contre le skat, etc.

L’une des conséquences est que certains propriétaires préfèrent désormais mettre en vente leur bien plutôt que de s’engager dans l’aventure de la rénovation ou de maintenir le bien en location. Le rendement n’étant plus assuré, un placement financier pourrait être avantageux le temps que le marché se stabilise. Néanmoins, compte tenu de la baisse des opérations d’achat comme exposé ci-avant, le marché est moins dynamique qu’auparavant et les biens mis en vente ne trouvent parfois pas rapidement acheteur, avec un nombre de désistement rarement constaté. Sur presque tout l’ensemble du territoire français, le prix de vente des immeubles a diminué. Pendant la mise en vente, le propriétaire occupant ne libère pas son logement et le bailleur ne reprend pas de locataire. Le bien n’entre donc pas sur le marché locatif.

En Belgique

Chez nous, quelques voix de spécialistes se font entendre pour alerter les autorités politiques au sujet de la crise du logement et de l’immobilier dans son ensemble qui semble se profiler. Reprenons les facteurs de la crise française en examinant les chiffres belges.

L’accès à la propriété

En Belgique aussi les taux d’intérêts des crédits hypothécaires ont augmenté drastiquement. Les conditions d’apport sont plus contraignantes. La performance énergétique des bâtiments devient un critère de prêt ou d’influence du taux. En un an, selon le secteur bancaire, la demande de crédit hypothécaire aurait baissé de 36% sur les 6 premiers mois de 2023. Du côté des notaires, les transactions immobilières générales auraient quant à elles diminué de 4,2%. Selon les chiffres de la Fédération du notariat, les actes de vente sont en recul de 19 % et les actes de crédit de 32% sur la première moitié de l’année 2023 par rapport à l’année précédente. Les candidats acquéreurs seraient moins nombreux et le délai d’attente pour vendre un bien serait en augmentation.

Le parc social

Selon Statbel, la Belgique comptait 5.381.600 logements en 2022, qui se répartissaient comme suit :

• 3.149.871 en Flandre

• 1.678.583 en Wallonie

• 553.307 en Région de Bruxelles- Capitale

Selon Housing Europe et l’Union sociale pour l’habitat, en Belgique :

• 66% des logement sont occupés par leur propriétaire

• 23,5% des logements sont loués par le privé

• 8,9% sont des logements à loyers subventionnés ou sociaux (dont 6% sont des logements sociaux)

• 1,6% sont occupés d’une autre manière ou inconnue.

Selon les informations données à la presse, la Wallonie compterait 103.000 logements sociaux et 40.000 candidats en attente contre 40.000 logements sociaux à Bruxelles avec une liste d’attente de 50.000 ménages.

La situation de la construction

Le secteur de la construction n’est pas à la fête et ressent un réel ralentissement. Les caisses des entreprises et des pouvoirs publics sont vides, reportant certains projets. Le durcissement de l’accès à la propriété et au crédit réduit les projets et les chantiers, ce qui est un comble quant on connaît les ambitions de rénovation de la Belgique d’ici 2030 et du chemin qui reste à parcourir. De plus, Embuild a annoncé en septembre 2023 que les coûts de la construction avaient augmentés de 25% en deux ans, soit autant qu’entre 2008 et 2019. Enfin, les délais pour obtenir les permis et autorisations sont de plus en plus longs ce qui freine la construction.

Les mesures qui impactent négativement les propriétaires

La Belgique connaît également son lot de mesures qui ont directement un impact sur les propriétaires. Le lecteur du CRI les identifie aisément et est-il vraiment nécessaire de les nommer : le plafonnement de l’indexation, les obligations de rénovation, le système des primes qui ne suit pas, le moratoire hivernal, les nouvelles dispositions au sujet de l’expulsion, le nouveau droit bruxellois de préemption pour le locataire, l’augmentation parfois explosive du précompte immobilier, le spectre d’une réforme fiscale sur les loyers, l’encadrement des loyers, etc.

Les spécificités à la belge

Il ne serait pas possible de terminer cette analyse sans évoquer quelques spécificités bien belges pour tempérer le risque de crise. En effet, tout d’abord et contrairement à nos voisins, les salaires ont été indexés ce qui en principe permet de conserver du pouvoir d’achat. En outre, les frais annexes aux opérations immobilières sont beaucoup plus importants en Belgique qu’en France (et ailleurs), comme par exemple les droits d’enregistrement. Cette charge supplémentaire peut amener le propriétaire à éviter de revendre trop vite son bien immobilier. De plus, rappelons qu’en Belgique, un grand nombre de ménages sont propriétaires et occupent leur (unique) logement. Enfin, si la Belgique se distingue de la France, les Régions sont également très différentes dans leurs réalités respectives puisque Bruxelles compte 60 % de locataires, 34 % en Wallonie et 26% en Flandre. Le marché locatif dans la Région de Bruxelles -Capitale est donc très différent de la réalité du reste du pays.

Conclusion

La France connaît une crise de l’immobilier et surtout du logement qui est pour partie le fruit de son histoire propre. Toutefois, certains facteurs de crise semblent très nettement transposables à la réalité actuelle de notre pays. La crise française devrait alerter les autorités politiques belges quant aux conséquences d’une politique de l’immobilier et du logement sans réelle vision à long terme et concertée entre les Régions. Le risque d’une crise de l’immobilier et du logement à la sauce belge ne peut être raisonnablement écarté.

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