La planification successorale des « partenaires »

Le Cri n°497 - octobre 2025
La planification successorale des « partenaires »

Anticiper une succession, c’est bien souvent naviguer entre complexité familiale et enjeux patrimoniaux. Cet article met en lumière les défis de la planification successorale des partenaires, là où s’entremêlent relations officielles, secrets et réalités humaines.

Commencer par un état des lieux du patrimoine mais aussi des personnes

Les praticiens le diront cent fois : toute planification débute par l’examen de la situation familiale avant d’évaluer la taxation du patrimoine.

Parfois, il faut oser poser des questions qui peuvent fâcher sur la vie passée car ce n’est pas un réflexe automatique chez tout le monde. Ainsi, on fait remonter à la surface un enfant qu’on ne voit plus, un conjoint dont on n’est pas réellement divorcé ou encore une relation durable mais double.

Ce n’est pas pour rien que tous les avocats et les notaires ont suivi un cours de psychologie dans leur cursus universitaire.

Rappelons également que l’auteur de la « Comédie Humaine », Honoré de Balzac, a travaillé dans une étude de notaire, ce qui lui a permis de décrire la psychologie de plus de 500 personnages.

Les plus connus sont le jeune Rastignac dévoré d’ambition, le père Goriot qui donnera toute sa fortune à ses filles pour finir dans la misère ou encore l’avare Grandet dont l’avarice va briser la vie de son unique enfant, Eugénie Grandet.

Examinons les situations les plus courantes.

Les couples dont l’un a une « connaissance »

La phrase "Monseigneur a encore sa connaissance" est une citation attribuée au concierge de l'Élysée au lendemain de la mort de Félix Faure en 1899. Elle signifie que sa "connaissance", à savoir sa maîtresse, Marguerite S., a pris la fuite par une issue dérobée après la mort soudaine du président français.

Les plus âgés s’en souviendront, l’adultère n’a été dépénalisé qu’à la fin du 20ième siècle, en 1987 (Loi du 4 juillet 1987).

Bien que la Belgique n’ait jamais connu une criminalisation des relations sexuelles hors mariage, de nombreux juges estimaient autrefois qu’une relation adultérine ne pouvait pas être récompensée par un legs testamentaire, car contraire à l’ordre public.

La famille officielle et légitime pouvait, par le passé, solliciter la nullité d’une clause testamentaire qui avait pour but de consacrer une relation adultérine.

Actuellement, c’est du passé, le legs à une « connaissance » est valable, même si l’objet du legs est de récompenser une relation hors mariage.

Il est ainsi possible qu’une personne veuille à la fois protéger son conjoint et, en même temps, témoigner une gratitude à l’égard de sa « connaissance ».

Les couples non mariés, mais « partenaires »

Du fait de la régression des mariages en Belgique, on constate une hausse corrélative des couples non-mariés, qu’on appelait d’abord des « concubins », ensuite des « cohabitants », et actuellement des « partenaires ».

Comme en Belgique, rien n’est simple, la définition des couples « partenaires » est différente dans les trois régions en matière de droits de succession et de donation ; il y a dès lors lieu de bien vérifier les conditions avant de déménager d’une région à l’autre.

En résumé, la Flandre et Bruxelles considèrent qu’un couple non marié et n’ayant pas fait de déclaration de cohabitation légale à la commune, peut néanmoins être considéré comme « partenaire » et bénéficier du tarif ligne directe après une année de vie commune et bénéficiera même de la gratuité sur l’héritage de la résidence commune après trois ans de vie commune.

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Ce n’est pas le cas en Wallonie ou seuls le mariage et la cohabitation légale permettent de bénéficier des tarifs « ligne directe ». (Cohabitation légale selon la procédure prescrite par l’article 1475 de l’ancien Code civil)

Effectuer une déclaration de cohabitation légale à la commune est une solution qui place le couple à égalité avec les couples mariés dans les trois régions belges pour ce qui concerne le tarif des droits de donation et de succession.

Mais ce n’est pas tout. Pour faire encore plus compliqué, la cohabitation légale belge semble reconnue en France mais le PACS français qui est son sosie, n’est pas encore reconnu en Région de Bruxelles-Capitale. Ces personnes « PACSées » se croient en règle et risquent d’avoir une grosse surprise en cas de décès après leur arrivée à Bruxelles.

Il est vrai que la nouvelle règle de cohabitation de fait d’un an ou de trois ans qui est applicable à Bruxelles depuis 2025 pourrait les tirer d’affaire.

Comment aider le partenaire ?

Nous envisageons les situations de remariage avec un partenaire qui n’est pas le père ou la mère des enfants du (futur) défunt.

Ces remariages donnent souvent de l’appétit aux deuxièmes conjoints ou partenaires ce qui fait que les enfants de la première union ne voient pas toujours d’un bon œil le remariage de leur mère mais surtout de leur père quand il se lie avec une belle-mère dont l’espérance de vie lui est bien supérieure.

Force est de constater que ces remariages sont source de tensions et que plus de 10 % des pères séparés ne voient plus jamais leurs enfants à la suite d’une séparation avec leur mère.

Il existe des techniques pour déshériter complètement ses propres enfants comme le déménagement dans un pays anglo-saxon qui ne connaît pas la réserve héréditaire des enfants ou la vente en rente viagère.

Heureusement, la majorité veut gratifier son deuxième partenaire sans trop déshériter ses propres enfants.

Il existe des exceptions, mais de manière générale les notaires conseillent dans ce cas de ne pas léguer un usufruit ou une rente viagère à charge des enfants d’une précédente union, mais de prévoir une part de la succession ou un bien précis à chaque fois en pleine propriété.

Ceci pour plusieurs raisons :

  • L’usufruit ou la rente est inconfortable pour les enfants qui doivent continuer à supporter la charge d’une belle-mère ou d’un beau-père durant de nombreuses années et parfois même au-delà de la vie des enfants, avec le risque que cette charge se transmette aux héritiers des enfants ;

  • Le règlement d’une somme d’argent ou le legs testamentaire d’un bien a le mérite d’éviter des litiges sur les charges d’entretien et de réparation des biens soumis à usufruit ;

  • Chacun conserve sa liberté.

Envisager le legs d’une somme d’argent « en duo » ?

Exemple de clause testamentaire « en duo » : « J’impose à mes enfants de remettre un montant de cent mille euros nets de droits de succession à Monsieur … pour autant qu’au jour de mon décès nous cohabitions toujours ensemble sans que cette cohabitation soit permanente. »

En résumé, ce sont les enfants qui supportent les droits de succession sur ce legs de 100.000 euros.

Cette formule a le mérite de la clarté ; le conseil est de le faire sous forme de codicille testamentaire car depuis que l’article 68 du Code des droits de succession est supprimé dans les trois régions, la controverse de savoir si la décision de ne pas déposer un testament était constitutive d’un abus fiscal fait, à notre avis, partie du passé. (Art 68 (ex) “En cas de répudiation d’une part ab intestat, d’une disposition testamentaire ou d’une institution contractuelle, le droit dû par les personnes qui en profitent ne peut pas être inférieur à celui qu’aurait dû acquitter le renonçant.” : supprimé en Flandre le 24 décembre 2017, à Bruxelles à partir du 1er janvier 2024 et en Wallonie à partir du 1er janvier 2025.)

Pour le cas où la taxation du partenaire devait être au tarif « entre étrangers » de 80 %, les enfants peuvent décider de ne pas déposer le codicille et ensuite pratiquer une donation au partenaire survivant par simple virement bancaire, sans communication, mais en indiquant dans un courrier unilatéral signé par eux que c’est pour honorer la volonté de leur parent.

Le bénéficiaire peut éventuellement décider de procéder à l’enregistrement par une déclaration unilatérale taxée à 5,5 % (Wallonie) ou 7 % (Bruxelles et Flandre) pour échapper aux droits de succession pour le cas où l’un des enfants venait à décéder dans les 5 ans.

Est-ce un abus fiscal ?

A notre avis, ce ne l’est plus car l’article 68 du Code des droits de succession a été supprimé, mais nous ne connaissons aucune décision qui valide cette opinion, de sorte que la prudence reste de mise étant donné que la taxation sera nettement réduite à la suite des deux actes : la renonciation et ensuite, la donation.

Il y a également la possibilité de recourir à l’assurance-vie dont les bénéficiaires sont les enfants avec un programme de rachat annuel en faveur du partenaire, mais il faudra bien étudier la question fiscale car ce procédé peut entrainer une taxation à la fois dans le chef des enfants et à la fois dans le chef du partenaire.

Toujours examiner la renonciation comme technique de planification

L’abrogation de l’article 68 du Code des droits de succession dans les trois régions a ouvert une nouvelle voie dans la planification successorale post-mortem.

La plus courante est celle de parents qui renoncent à la succession du grand-parent pour en faire bénéficier directement leurs (petits-)enfants.

A côté de la ligne directe, il y aussi les autres situations.

Prenons l’exemple d’un couple sans descendance résidant dans un logement appartenant exclusivement au mari. Il vient à décéder et laisse comme unique héritière légale, son épouse pour l’usufruit et sa nièce pour la nue-propriété de ce logement.

Pour rappel, la loi successorale belge (valable dans les trois régions) a prévu quatre ordres de successions :

1° ordre : les descendants

2° ordre : les frères et sœurs (avec ¼ pour le père et ¼ pour la mère)

3° ordre : les ascendants

4° ordre : les cousins

Le conjoint survivant forme à lui seul une catégorie spéciale, il hérite de :

  • la totalité en usufruit en présence de descendants ;

  • la totalité des biens communs et la totalité des biens en indivision exclusive des époux, en l’absence de descendants ;

  • la totalité de la succession si le défunt ne laisse pas d’héritiers légaux ou seulement des collatéraux du 4ième ordre (cousins) .

Si dans notre exemple, la succession du mari est uniquement composée du logement principal de la famille qu’il possède seul en propre, la succession se présente ainsi :

  • L’usufruit revient à sa femme (exonéré car résidence commune des époux)

  • La nue-propriété revient à la nièce (taxée à un taux se situant entre 25 % et 70 %)

Nous voyons immédiatement qu’à défaut de testament, il y a un gros problème car la nièce doit supporter des droits de successions qui montent vite à 70 %.

Le conseil est d’envisager la renonciation à succession par la nièce, qui n’a pas d’enfants, de sorte que s’il n’y a pas d’héritiers dans le 1er, 2ième et 3ième ordre, la totalité de la succession reviendra au conjoint survivant, lequel sera exonéré de droits de succession sur la résidence commune des époux.

En l’absence de cette renonciation, les droits de succession risquent d’être supérieurs à 50 % de la valeur du logement concerné.

Les conjoints remariés et les conjoints « équipés »

Par « équipé » on entend un conjoint qui a des enfants d’une précédente union.

En vertu de la loi, même en cas de remariage, l’usufruit revient au conjoint survivant et la nue-propriété aux enfants du conjoint décédé, sauf si les époux ont signé un pacte sur succession qui supprime ou limite les droits successoraux du conjoint survivant, également appelé « pacte Valkeniers ».

L’expérience nous apprend toutefois que la technique de l’usufruit fonctionne bien quand les nus-propriétaires sont les héritiers de l’usufruitier.

C’est plus compliqué à gérer quand l’usufruitier a d’autres héritiers que les nus-propriétaires.

Dans ces situations, le conseil fréquent est de trancher la succession en parts de pleine propriété, en indiquant que la part revenant au conjoint survivant s’appliquera par priorité sur la résidence commune car la résidence commune entre conjoints est exonérée de droits de succession.

Cette exonération sur la résidence commune s’applique également aux cohabitants légaux dans tout le pays et aux cohabitants de fait depuis trois ans à Bruxelles et en Flandre.

Le « Fidei-commis de residuo » en faveur des enfants après le décès du deuxième partenaire

Le fidei-commis est une technique valable en droit par laquelle une personne impose une double succession en deux temps dans son testament ou dans une donation :

  • Dans un premier temps, en faveur de son partenaire (par exemple) ;

  • Dans un deuxième temps, après le décès de son partenaire, en faveur de ses propres enfants.

Cela veut dire que les biens hérités par le partenaire, qui n’ont pas été vendus, reviendront aux enfants du partenaire décédé en premier.

Le fidei-commis ne peut toutefois jamais interdire la vente des biens hérités et… la dépense du produit de la vente.

Le fidei-commis peut néanmoins interdire la donation ou le legs testamentaire à d’autres personnes que celles qui sont désignées comme bénéficiaires dans un deuxième temps, en l’occurrence les enfants du premier mariage.

De cette manière le deuxième partenaire peut jouir du bien, il peut même décider de le vendre, mais il ne peut pas le donner ou le léguer à d’autres qu’aux enfants du partenaire décédé en premier si tel est la clause de son testament.

Cette technique de fidei-commis n’est pas de toute sécurité puisque le deuxième partenaire peut vendre et dépenser cet héritage, mais cela donne une garantie supplémentaire du retour à la propre descendance du partenaire décédé en premier, avec le gros avantage que ce retour sera taxé au tarif en en ligne directe.

Nous verrons les techniques de planification successorale pour les couples mariés dans un prochain article.

Cet article n'est valide qu'à la date où il a été publié.
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