Le droit de préférence du locataire à Bruxelles

Le CRI n°480 - Janvier 2024
Le droit de préférence du locataire à Bruxelles

Après avoir profondément modifié la procédure d’expulsion et instauré une trêve hivernale par une ordonnance du 22 juin 2023, le législateur bruxellois a voté le 19 septembre dernier une autre ordonnance instaurant un droit de préférence en faveur du locataire en cas de mise en vente du bien qu’il occupe.

Cette réglementation implique de nouvelles obligations à charge du bailleur bruxellois.

1. Le bénéficiaire de ce droit de préférence est le locataire d’un bail de résidence principale à Bruxelles, domicilié dans les lieux, pour autant que ce bail ne soit pas (ou plus) un bail de courte durée.

Rappelons que le bail de courte durée est conclu pour une durée inférieure ou égale à trois ans.

Le locataire n’est pas le seul titulaire de ce droit de préférence : ce droit est étendu à sa famille, à savoir son conjoint ou cohabitant légal, ses enfants et ceux de ce dernier, pour autant toujours que ce membre de la famille soit domicilié dans les lieux.

Sont donc exclus les locataires qui ne sont pas domiciliés dans les lieux au jour où nait ce droit de préférence, mais aussi les locataires d’un bail de colocation ou d’un bail étudiant.

2. Si, à ce jour, l’ordonnance n’est pas encore publiée, d’après nos informations, ces nouvelles dispositions entrent en vigueur le 1er janvier 2024.
Elles trouveront à s’appliquer à toute décision de mise en vente prise à dater de cette date. La nouvelle ordonnance s’applique donc aux baux en cours.

3. La mise en œuvre de ce droit de préférence oblige le bailleur, mais aussi d’autres intervenants. La marche à suivre est la suivante.

Ainsi, dans un premier temps, il revient au bailleur d’avertir son locataire de son intention de vendre le bien. Cette information constitue une véritable « offre de vente ». Cette offre doit être complète, ferme et précise : elle doit viser le bien, sa description, sa désignation cadastrale et le prix sollicité. Le locataire dispose alors de 30 jours pour prendre position à dater de la réception de cette offre.

En cas d’acceptation, cette acceptation vaut vente. Le transfert de propriété est toutefois différé à la signature de l’acte authentique, de même que le paiement du prix, sous réserve d’un éventuel acompte.

Si le locataire ne prend pas position, il est réputé avoir renoncé à l’exercice de son droit. Le bailleur est alors libre de contracter avec un tiers aux mêmes conditions, ou à des conditions plus avantageuses pour lui (un prix plus élevé que celui offert au locataire par exemple).

Dans le cas inverse, la prudence commande : si le locataire ne donne pas suite à l’offre originaire et que, dans le cadre du processus de mise en vente, le bailleur devait in fine vendre à des conditions plus avantageuses pour l’acquéreur (par exemple un prix moins élevé), le bailleur devra reformuler une offre de vente à son locataire qui, désormais, disposera de 7 jours à compter de la réception de cette nouvelle offre pour prendre position.

4. Dans un second temps, une nouvelle obligation incombe à l’agent immobilier ou au notaire chargé de la vente. Le texte prévoit en effet que cet intervenant doit s’inquiéter du respect, par le bailleur-vendeur, de ses obligations et, le cas échéant, les pallier. Ainsi, si l’un de ces intervenants constate que le bailleur n’a pas proposé le bien à son locataire, le texte dit qu’il devra lui-même y procéder. Cette formulation nous étonne. Nous pensons que par facilité, l’agent immobilier ou le notaire devra enjoindre son client de notifier son intention au locataire, pour éviter d’écrire en son nom, et se garder la preuve de cette injonction.

5. Dans un troisième temps, si le notaire chargé de la vente devait encore constater, alors qu’un compromis est signé avec un tiers acquéreur, que ce droit n’a pas été mis en œuvre préalablement, il devra notifier au locataire, au plus tard 60 jours avant la passation de l’acte authentique, la copie de ce compromis afin de permettre au locataire d’exercer son droit dans les 30 jours de la réception de cette notification.

Dans ce cas, le droit de préférence se mue en un réalité un véritable droit de préemption puisque si le locataire exerce son droit, il prend la place du candidat acquéreur.

6. Le texte prévoit des garanties similaires pour le locataire en cas de mise en vente publique du bien.

Ainsi, et en résumé, en cas de vente publique dématérialisée (la plus courante actuellement), le notaire devra notifier au locataire le cahier des charges au moins 30 jours avant la mise en vente et il reviendra au locataire d’indiquer s’il entend exercer son droit. Dans l’affirmative, il devra indiquer le prix maximum qu’il propose. Si le montant de la dernière enchère est inférieur ou égal au prix proposé par le locataire, ce dernier remporte la vente au prix de la dernière enchère. Si, à l’inverse, le prix des enchères excède le prix proposé par le locataire, ce dernier est déchu de son droit.

7. En cas de non-respect par le bailleur du droit de préférence de son locataire, ce dernier se voit nanti d’une action subrogatoire qu’il peut intenter contre l’acquéreur, afin de devenir propriétaire du bien à sa place, moyennant remboursement du prix payé par ce dernier.

Cette procédure verra également la présence du bailleur-vendeur à la cause pour lui permettre, le cas échéant, de contester le non-respect du droit de préférence allégué par le locataire.

Au vu de leurs obligations spécifiques, la mise à la cause du notaire ou de l’agent immobilier et du notaire sera sans doute opportune.

Le locataire disposera d’un délai d’un an à dater de la transcription de la vente pour intenter son action. Au-delà, il sera trop tard.

A notre sens, outre cette action subrogatoire spécifique, le locataire évincé pourra aussi engager la responsabilité de son ancien bailleur en indemnisation de la perte d’une chance, selon les règles classiques.

8. Certaines ventes privent toutefois le locataire de cette faculté. Le texte en vise une dizaine. Citons, sans entrer dans les détails, la vente opérant au sein de la famille (1°), la cession d’usufruit ou de nue-propriété (2°), la cession immobilière opérant dans le cadre de fusions, scissions ou liquidations de sociétés (3°), la vente à sa propre société (4°), la cession de droits indivis entre indivisaires (5°), la vente d’un bien frappé par un arrêté d’inhabitabilité (8°).

Lorsque le bien vendu comporte plusieurs logements, les locataires ne disposent pas non plus de ce droit, car cela impliquerait de devoir diviser l’immeuble et de créer une copropriété (9°).

Il existe également deux exceptions en faveur des pouvoirs publics : lorsque le bien est cédé à une autorité publique en vue d’être utilisé à des fins d’intérêt général (6°) ou lorsque le bien fait l’objet d’un arrêté d’expropriation (7°).

Le locataire est enfin également déchu de son droit de préférence si le bien avait déjà fait l’objet, avant la conclusion du bail, d’une promesse de vente envers un tiers et que ce dernier exerce son droit (10°).

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