Les troubles de voisinage et le nouveau code civil

Les troubles de voisinage et le nouveau code civil

Le livre III du nouveau Code Civil applicable au 1er septembre 2021 a-t-il modifié, pour les propriétaires, l'approche de la théorie des troubles de voisinage ?

Introduction

Rappelons préalablement l'intérêt de celle-ci créée par la jurisprudence en partant d'un exemple classique.

Le propriétaire du fonds A laisse grandir des arbres à hautes tiges placés à la distance légale de 2 mètres.

La hauteur de ces arbres bien distants de son lieu de vie ne lui cause, à lui, aucun préjudice et elle ne représente pas non plus un intérêt réel.

Mais ceux-ci créent de l'ombre sur la parcelle du fonds B.

En effet, vu l'implantation de ces arbres, les occupants de la parcelle B se voient privés d'une grande clarté à un point tel que, même en journée, ils doivent, à l'intérieur de leur habitation, recourir à l'éclairage électrique de leur pièce de vie.

Rappel des principes et atténuations de la rigueur de ceux-ci par la jurisprudence

Le propriétaire du fonds A n'a commis aucune faute.

Il a respecté les distances prévues par le Code rural en son article 35

En tant que propriétaire, il estime avoir le droit, sur base de l'article 544 C.C., de « gérer » sa propriété comme il l'entend.

« La propriété est le droit de jouir et de disposer des choses de la manière la plus absolue pourvu qu'on en fasse pas un usage prohibé par la loi ou par le règlement ».

Mais, quand bien même aucune faute n'a été commise, il y a manifestement un dommage subi par les occupants du fonds B qui, eux, se voient préjudiciés dans l'exercice de leur droit de propriété.

Aussi, la Cour de Cassation, par deux Arrêts rendus le 6 avril 1960, va permettre à « une victime » d'obtenir une compensation.

Quelle est la motivation de ces Arrêts : « Attendu que l'article 544 C.C. reconnaît à tout propriétaire le droit de jouir normalement de sa chose.

Que les propriétaires voisins ayant ainsi un droit égal à la jouissance de leur propriété, il en résulte qu'une fois fixés les rapports entre leur propriété compte tenu des charges normales résultant du voisinage, l'équilibre ainsi établi doit être maintenu entre les droits respectifs des propriétaires.

Attendu que le propriétaire d'un immeuble qui, par un fait non fautif (c'est nous qui soulignons) rompt cet équilibre, en imposant à un propriétaire voisin un trouble excédant la mesure des inconvénients ordinaires du voisinage, lui doit une juste et adéquate compensation, rétablissant l'égalité rompue (c'est nous qui soulignons).

Qu'en effet, portant par l'atteinte aux droits de propriété du voisin, il doit l'indemniser, conformément à la tradition et au principe général consacré par l'article 11 de la Constitution (actuellement article 16) ».

Ainsi, cette théorie s'articule autour des principes suivants :

  1. Chacun est en droit de jouir normalement de son bien.

  2. Les propriétaires voisins ont un droit égal à la jouissance de leur propriété.

  3. Un équilibre est établi une fois fixés les rapports entre les propriétés voisines. Cet équilibre est établi compte-tenu des charges normales résultant du voisinage. Il doit être maintenu entre les droits respectifs des propriétaires.

  4. Un fait non fautif rompt cet équilibre en imposant un trouble excédant la mesure des inconvénients ordinaires de voisinage.

  5. Le fauteur du trouble ou le perturbateur doit une juste et adéquate compensation qui rétablit les qualités ainsi rompues (voir notamment les Relations de voisinage, 2ème édiction, J.P. VARGAUWE et S. LEONARD, LARCIER, p. 174).

Pendant 50 ans, avec des fortunes diverses, les plaideurs ont recouru à cette théorie qui permettait aux Tribunaux de « moraliser » les relations entre voisins, lorsque ne pouvait pas être appliqué le droit de la responsabilité basée sur une faute (articles 1382 et 1384).

Parfois c'est à titre subsidiaire qu'était invoquée cette théorie, au cas où le Tribunal ne reconnaissait pas la faute.

Force est de reconnaître que le Juge avait un pouvoir d'appréciation énorme et qu'il n'était pas rare, en fonction de la sensibilité du Tribunal, de voir la même situation jugée différemment.

Ainsi, un Juge « au cœur vert » avait parfois des réticences à accepter l'abattage d'arbres à distance règlementaire susceptibles de causer de l'ombre ou de remplir de feuilles les corniches des voisins.

Il en résultait une certaine insécurité juridique.

Le code civil nouveau

Lors de la réforme du droit des biens, le législateur apparaît en avoir été conscient et, partant, a fait glisser cette théorie en provenance de la jurisprudence vers un texte législatif.

Avant de le commenter, nous croyons opportun de le reprendre tel quel.

« Article 3.101. Troubles anormaux de voisinage.

§1. Les propriétaires voisins ont chacun droit à l'usage et à la jouissance de leur bien immeuble.

Dans l'exercice de l'usage et de la jouissance, chacun d'eux respecte l'équilibre établi en ne causant pas à son voisin un trouble qui excède la mesure des inconvénients normaux du voisinage qui lui est imputable.

Pour apprécier le caractère excessif du trouble, il est tenu compte de toutes les circonstances de l'espèce, telles le moment, la fréquence et l'intensité du trouble, la préoccupation ou la destination publique du bien immeuble d'où le trouble causé provient.

§2. Celui qui rompt l'équilibre précité est tenu de le rétablir.

  1. Le Juge ordonne celles des mesures suivantes qui sont adéquates pour rétablir l'équilibre :

  2. Une indemnité pécuniaire pour compenser le trouble excessif.

  3. Une indemnité pour les coûts liés aux mesures compensatoires prises quant à l'immeuble troublé pour ramener les troubles à un niveau normal.

  4. Pour autant que cela ne crée pas un nouveau déséquilibre et que l'usage et la jouissance normaux de l'immeuble ne soient pas ainsi exclus, l'interdiction du trouble rompant l'équilibre ou des mesures, concernant l'immeuble causant le trouble, pour ramener les troubles à un niveau normal.

§3. Si l'un ou les deux biens immeubles sont grevés d'un droit en faveur d'un tiers, qui dispose d'un attribut du droit de propriété, les §1 et 2 s'appliquent à ce tiers pour autant que le trouble soit causé par l'exercice de l'attribut et pouvant lui être imputé.

Si le trouble résulte de travaux autorisés expressément tacitement par le propriétaire concerné ou le titulaire de l'attribut du droit de propriété, il est réputé lui être imputable.

§4. L'action pour trouble anormal de voisinage se prescrit conformément à l'article 2260 bis, §1, alinéas 2 et 3, de l'ancien Code Civil ».

Article 3.102. Prévention des troubles anormaux de voisinage.

Si un bien immeuble occasionne des risques graves et manifestes en matière de sécurité, de santé ou de pollution à l'égard d'un bien immeuble voisin, rompant ainsi l'équilibre entre les biens immeubles, le propriétaire ou l'occupant de ce bien immeuble voisin, peut demander en justice que des mesures préventives soient prises afin d'empêcher que le risque se réalise ».

Ainsi est canalisée « cette théorie »

Nous retiendrons plus particulièrement quelques termes de l'alinéa 2 du paragraphe 1

  • « La fréquence » si le cheval du fonds voisin hennit bruyamment uniquement à quelques moments de la journée, n'espérez pas pouvoir invoquer cette théorie.

  • « L'intensité » si la pompe de l'étang du fonds voisin émet un bruit sourd de l'ordre de moins de 40 décibels, ne comptez pas sur cette théorie pour la faire stopper.

  • « La destination publique » si le fonds voisin appartient à la Commune et si, celle-ci ayant aménagé un terrain de pétanque, lors de cette activité appréciée par les pensionnés, il en résulte quelques bruits que vous ne pouvez supporter, il pourrait être soutenu que la préoccupation publique du bien justifie le support d'un tel trouble.

La loi énumère trois mesures possibles.

  • Une indemnité pécuniaire peut compenser le trouble excessif.

    Si l'arbre centenaire classé, à certains moments de l'année et de la journée, obscurcit fortement une pièce de vie du voisin, il pourrait être prévu une indemnité plutôt qu'une mesure aussi radicale que l'abattage.

  • Une indemnité pour les coûts liés aux mesures compensatoires prises quant à l'immeuble troublé pour ramener le trouble à un niveau normal.

    Si le fonds A est exploité par un menuisier dont les scies occasionnent un bruit anormal, on peut imaginer que le coût lié à l'installation de panneaux anti-bruit pouvant être placés sur le fonds B, soit pris en charge par le propriétaire du fonds A.

    Il peut en outre être de même lors d'installations de pompes de piscine (de plus en plus fréquentes) qui génèrent, à proximité du fonds voisin des bruits difficiles à supporter. On peut aussi imaginer que soient imposés aux propriétaires de cette piscine des heures de fonctionnement de la pompe pour que celle-ci ne perturbe pas le sommeil de ses voisins (une pompe de piscine, vu les tarifs horaires électriques, est souvent mise en fonctionnement la nuit).

  • Une interdiction du trouble : si le chant du coq, en zone urbaine, à une heure très matinale est considéré comme un trouble qui excède la mesure des inconvénients normaux du voisinage, il pourrait être fait interdiction à son propriétaire de le garder.

Dans le paragraphe 3, le législateur a voulu permettre qu'une action intentée puisse l'être contre un tiers non titulaire du droit de propriété. Ainsi, si c'est le locataire qui avait un coq, quand bien même il n'est pas propriétaire du fonds, il pourrait être utilement actionné par le propriétaire du fonds voisin.

Dans le paragraphe 4, pour autant que de besoin, il est clarifié le délai de prescription pour agir, la jurisprudence ayant déjà été dans ce sens en appliquant l'article 2262 bis §1er, alinéas 2 et 3. Nous reviendrons sur cette question importante dans un article ultérieur.

Enfin, l'article 3.102. revêt un grand intérêt. Certes, l'article 19 alinéa 2 du Code Judiciaire prévoyait déjà la possibilité d'intenter une action « à titre préventif » mais il était question, dans cet article, de violation d'un droit.

Or, comme la théorie des troubles de voisinage est basée, non sur la violation d'un droit mais sur la rupture d'équilibre entre plusieurs fonds, il était nécessaire de prévoir une disposition particulière pour que puisse, avant même la naissance du trouble, être intentée une action.

Si sur le fonds B, son propriétaire envisage d'installer un poulailler alors que cette construction, trop proche du fonds A, par le claquettement et les odeurs, pourrait être à la base d'un trouble « anormal », il peut être utile de permettre une action à titre préventif.

Conclusion

Les propriétaires ne peuvent que se réjouir du cadre nouveau ainsi fixé qui balise utilement la théorie des troubles de voisinage et, surtout, ouvre la voie à de nombreuses solutions pour résoudre la question parfois lancinante et minante de ceux-ci.

Les magistrats aussi devraient être rassurés lorsqu'ils prononcent un jugement car la mesure qu'ils ordonnent pourrait rentrer dans une des catégories reprises au paragraphe 2.

Nous ne doutons dès lors pas que cette théorie des troubles de voisinage sera encore très souvent exploitée.

Cet article n'est valide qu'à la date où il a été publié.
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