Copropriété entreprise versus Copropriété consommateur. Quid ?

Le CRI n°465 - Juin 2022
Copropriété entreprise versus Copropriété consommateur. Quid ?

Dans un jugement du 25/2/2019, la 5e chambre du Tribunal de première instance de Liège – affaires civiles – retient qu’une copropriété ne peut pas être considérée comme une entreprise au sens de l’article I. 1, 1° du Code de droit économique. Quelques commentaires.

Confrontés à une hausse importante du coût de l’énergie (gaz, électricité, mazout), les consommateurs ont eu UNE BONNE NOUVELLE : ils bénéficieront d’une réduction temporaire du taux de T.V.A. à 6% sur le gaz et d’un chèque mazout. Oui, mais non, enfin pas tous… ! Pas ceux qui vivent dans une copropriété, parce que celle-ci serait une entité professionnelle… ! Cette réponse discriminatoire, injuste et cynique relance le débat épineux de la qualité de consommateur de la copropriété !

Le jugement du Tribunal de première instance de Liège (5e Chambre) – affaires civiles - du 25/2/2019 que nous avons l’opportunité de présenter apporte sa pierre à l’édifice de la « copropriété consommateur ».

Quelques rappels

L’éditorial du magazine LE CRI n° 464 de mai 2022 du Président Olivier Hamal fait une mise au point sans concessions et rappelle que le SNPC-NEMS milite depuis longtemps en faveur de la reconnaissance pour les copropriétés de la qualité de consommateur.

En ce sens, la proposition de loi évoquée dans l’éditorial mérite d’être soulignée : elle a été déposée le 23 juin 2020 (DOC 55 1372/001) par Monsieur Maxime Prévot et Madame Vanessa Matz (cdH devenu « Les Engagés ») et Madame Kathleen Verhelst (Open Vld). Elle vise à accorder la qualité de consommateur à certaines associations de copropriétaires. Elle a déjà été commentée dans LE CRI n° 448 de novembre 2020.

Intérêt du jugement du 25/2/2019 de la 5e chambre du Tribunal de première instance de Liège – division Liège - affaires civiles

Le Tribunal civil de première instance a été saisi par une copropriété demanderesse contre un entrepreneur défendeur pour trancher leur litige, à savoir la réparation de malfaçons commises dans le cadre d’un chantier de rénovation de l’immeuble.

Le défendeur a soulevé un déclinatoire de compétence et en accord avec la demanderesse, postule le renvoi de la cause devant le Tribunal de l’entreprise.

Pour répondre à la question posée, à savoir être compétent et connaître du litige ou se déclarer incompétent et renvoyer l’affaire devant le Tribunal de l’entreprise, le Tribunal civil fait une application stricte des règles de compétence d’ordre public du Code judiciaire et partant, vient à examiner la notion d’entreprise, objet de notre propos.

Quant à l’application des règles de procédure

Le Tribunal rappelle que le juge doit d’office vérifier sa compétence ratione materiae ou matérielle puisque ces règles sont d’ordre public.

Deux dispositions du Code judiciaire sont ainsi examinées :

  • L’article 573 du Code judiciaire dispose que « le tribunal de l’entreprise connaît en premier ressort des contestations entre entreprises visées à l’article I, 1, 1° du Code de droit économique, qui ne relèvent pas de la compétence spéciale d’autres juridictions et qui, en ce qui concerne les personnes physiques, ont trait à un acte qui n’est manifestement pas étranger à l’entreprise.
    La demande dirigée contre une entreprise peut être également portée, aux conditions visées à l’alinéa 1er, devant le tribunal de l’entreprise, même si le demandeur n’est pas une entreprise. Est, à cet égard, nulle, toute clause attributive de compétence antérieure à la naissance du litige.
    »

  • Selon l’article 568 du Code judiciaire, le Tribunal de première instance bénéficie d’une prorogation de compétence en ce sens que, sauf déclinatoire de compétence soulevé in limine litis par le défendeur, il connaît des contestations relevant des compétences spéciales des juridictions d’exception. C’est ce qu’on appelle la compétence résiduelle du tribunal de première instance.

En conséquence, comme pour les Professeurs G. DE LEVAL et F. GEORGES (« Droit judiciaire, Tome 1 : Institutions judiciaires et éléments de compétence, 2e éd., Coll. Faculté de droit de l’Université de Liège, Larcier, Bruxelles, 2014), « chaque fois que la lecture de la loi laisse subsister un véritable doute sur l’existence d’une attribution de compétence à un juge spécial, le tribunal civil doit être préféré ».

Notion d’entreprise

Le Tribunal est ainsi amené à se pencher sur la notion d’entreprise et à examiner la qualité « entreprise » de la copropriété demanderesse dans cette affaire.

Se référant aux auteurs (I. Verougstraete et J. Lebeau, Transferts de compétence : le tribunal de commerce devient le juge naturel de l’entreprise. Loi du 26 mars 2014 « modifiant le Code judiciaire (…) en vue d’attribuer dans diverses matières la compétence au juge naturel », R.D.C., 2014, pp. 543-559 », « si l’objectif est de satisfaire des besoins sociaux ou sociétaux et non d’assurer à l’organisation une rentabilité suffisante, il ne s’agira pas d’une entreprise».

Or, pour le Tribunal civil,

  • « une association de copropriétaires est une personne morale à finalité civile : elle fonctionne exclusivement en vue de la défense des intérêts communs de copropriétaires ou de la conservation et la gestion de l’immeuble ou d’un groupe d’immeubles et ne poursuit pas un objectif économique de manière durable.
    Elle ne peut donc pas être considérée comme une entreprise au sens de l’article I.1, 1° du Code de droit économique.

  • en revanche, le défendeur est quant à lui une société commerciale qui répond à la définition de l’entreprise au sens de cette disposition. »

Le Tribunal civil retient que la contestation ne concerne pas un acte accompli par la copropriété demanderesse dans la poursuite d’un but économique, ne s’agissant que d’obtenir réparation de malfaçons dans un chantier de rénovation de l’immeuble.

Le Tribunal civil confirme que :

  • la demanderesse -copropriété- n’est pas une entreprise,

  • conformément à l’option donnée à la copropriété par l’article 573 du Code judiciaire, la demanderesse copropriété pouvait choisir de porter le litige devant le tribunal de l’entreprise,

  • c’est au moment de citer en justice que la demanderesse copropriété qui n’est pas une entreprise devait opérer son choix.

Décision

Le Tribunal civil se déclare compétent pour connaître du litige.

Quelques observations et conclusions

Si l’entreprise telle que définie actuellement par le Code de droit économique englobe toute personne physique qui exerce une activité professionnelle à titre indépendant et toute personne morale ou toute autre organisation sans personnalité juridique, le consommateur est, par opposition, défini comme toute personne physique qui agit à des fins qui n'entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale.

Une lecture rapide des définitions et une reprise sans réserves des personnes morales au rang des entreprises reste inadéquate et inadaptée.

Les auteurs de la proposition de loi du 23/6/2020 pointent avec raison que la personnalité juridique a été reconnue à l’association des copropriétaires « pour la facilité de la gestion de l’immeuble, la simplification des tâches et la sécurité juridique. La personne morale n’existe et n’agit que comme coordinateur et rassembleur des tâches requises pour la conservation et l’administration des biens de chaque copropriétaire-personne physique à qui la loi reconnaît expressément la qualité de consommateur. »

Par ailleurs, cette personne morale n’est propriétaire ni des lots privatifs de l’immeuble ni des équipements communs partagés entre les lots et les copropriétaires. Son objet légal et statutaire est d’administrer l’immeuble et de le conserver durablement en bon état grâce aux moyens financiers que les copropriétaires lui apportent. Elle n’exerce personnellement ni des activités commerciales ni des activités industrielles ou libérales.

C’est au nom et pour compte de tous les copropriétaires qui la composent et subséquemment des résidents de l’immeuble que l’association des copropriétaires est appelée à consommer quotidiennement des biens et des services de toute nature.

Ce sont bien ces copropriétaires comme d’ailleurs in fine tous les résidents de l’immeuble qui consommeront les biens et les services qu’elle est chargée de leur fournir. Ce sont eux les consommateurs, généralement des personnes physiques qui agissent à des fins qui n'entrent pas dans le cadre de leur activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale.

C’est donc avec pertinence et méthode que le Tribunal civil a fait la part des choses.

En absence d’objectif économique durable dans le chef de l’association des copropriétaires demanderesse, et par le prisme d’une application stricte des règles d’ordre public de procédure, il a conclu qu’il ne peut s’agir d’une entreprise. L’association des copropriétaires demanderesse contre une entreprise peut, au choix, bénéficier, de la compétence du tribunal de l’entreprise ou de la compétence résiduelle du tribunal civil. Nous ne pouvons que nous féliciter de cette conclusion.

Est-elle pour autant un consommateur ? Ce serait logique. Si l’association des copropriétaires n’est pas une entreprise, elle doit alors être considérée comme un consommateur à part entière.

Une révision de la définition du Consommateur intégrant alors expressément la notion de l’association des copropriétaires, actuellement inclassable dans le Code de droit économique, permettrait de rassurer un monde de consommateurs actuellement en émoi et plus généralement, d’apporter la sécurité juridique.

Cet article n'est valide qu'à la date où il a été publié.
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