Différentes façons de transmettre un usufruit entre conjoints

Le CRI n°498 - Novembre 2025
Différentes façons de transmettre un usufruit entre conjoints

Après avoir examiné la question des successions en faveur d’un partenaire non marié, nous examinons cette fois la succession entre partenaires mariés, également appelés les « conjoints ».

La majorité des usufruits en Belgique, sont la conséquence d’un décès.

En effet, la loi belge confère au conjoint survivant un usufruit sur tous les biens de celui qui est décédé le premier, et cela tant sur les biens appartenant aux époux ensemble qu’aux biens appartenant au défunt de manière isolée, ainsi même sur les biens que le défunt possédait en indivision avec d’autres personnes.

On l’oublie souvent, l’usufruit du conjoint survivant frappe la totalité du patrimoine du conjoint décédé en premier ; il n’est dès lors pas rare de voir une belle-sœur « abouler » dans l’indivision familiale du mari décédé. Elle aura droit aux revenus et rien ne pourra être vendu sans son accord.

« L’usufruit est le droit de percevoir les revenus d’un bien, à charge d’en supporter les taxes, les frais d’entretien et de réparation »

Limitation de l’usufruit du conjoint survivant

Il est possible de supprimer l’usufruit du conjoint survivant dans un pacte, plus connu sous le nom « pacte Valkeniers », quand il y a des enfants d’une autre union.

Il est également possible de le réduire par testament.

La réduction de l’usufruit du conjoint survivant par testament ne peut toutefois pas porter atteinte à l’usufruit sur le logement principal de la famille tout comme cette réduction est limitée à l’usufruit sur la moitié des biens de la succession du défunt, avec au moins, dans cette moitié, l’usufruit de la totalité du logement principal de la famille. C’est ce qu’on appelle la « réserve ».

Nous verrons qu’il y a encore d’autres moyens de transmettre un usufruit au conjoint survivant.

L’usufruit successif en faveur du conjoint survivant

La réforme des droits civils de succession entrée en vigueur le 1er septembre 2018 a supprimé l’effet rétroactif de la réserve du conjoint survivant portant sur les donations effectuées avant le mariage, mais a introduit un usufruit continué ou « successif » sur les donations effectuées par le défunt avec réserve d’usufruit durant le mariage.

L’article 858bis de l’ancien Code civil sera complètement réécrit pour devenir l’actuel article 4.18 du Code civil qui prévoit :

Art. 4.18. Usufruit sur des biens donnés : Le conjoint survivant qui vient à la succession recueille, au décès du donateur, l'usufruit des biens que celui-ci a donnés et sur lesquels il s'est réservé l'usufruit, pour autant que le conjoint ait déjà cette qualité au moment de la donation et que le donateur soit resté le titulaire de cet usufruit jusqu'au jour de son décès.

Ce nouvel usufruit successif s’applique si trois conditions sont remplies :

  1. Une personne mariée effectue une donation avec réserve d’usufruit ;

  2. A son décès, il était toujours usufruitier

  3. Il n’a pas changé de conjoint entre-temps

Le conjoint peut renoncer à cet usufruit avant le décès du donateur mais il y a lieu de suivre la procédure du pacte sur succession future tel qu’imposé par les articles 4.244 à 4.253 du Code civil.

Le donateur peut également retirer ce droit à l’usufruit successif dans son testament.

A notre avis, il peut même indiquer dans son testament que cet usufruit successif est supprimé pour le cas où il devait être taxé dans la succession.

En effet, la Flandre taxe l’usufruit successif de manière assez forte car son évaluation est faite sur base du forfait imposé dans l’article 2.7.3.3.2 VCF, soit en résumé :

Coefficient multiplicateur

Catégorie d’âge de l’usufruitier survivant

18

≤ 20

17

> 20-30

16

> 30-40

14

> 40-50

13

> 50-55

11

> 55-60

9,5

> 60-65

8

> 65-70

6

> 70-75

4

> 75-80

2

> 80

En matière d’usufruit successoral, le revenu annuel à prendre en considération pour la valorisation est fixé par la loi à 4 %.

Ainsi, si le conjoint survivant a 74 ans, il se verra taxé sur une base forfaitaire de 24 % de l’actif en pleine propriété concerné par cet usufruit successif.

Or, ces 24 % ne viennent pas en déduction de l’émolument successoral revenant aux autres héritiers puisque la donation a déjà été taxée. Ces 24 % dans notre exemple viennent gonfler artificiellement la masse taxable dans le chef du survivant.

Il est possible de renoncer à l’usufruit successif mais pas à l’usufruit légal sur les biens qui subsistaient encore dans la succession du conjoint décédé, ce qui permet d’éviter cette taxation de l’usufruit successif.

Cette porte de sortie a été supprimée en Flandre par décret du 2 avril 2021 qui précise que la renonciation doit intervenir avant le décès du donateur et, en principe, selon les règles du Code civil.

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Une autre possibilité est de renoncer à la succession car dans ce cas, l’article 4.18 ne trouve pas à s’appliquer puisque le conjoint survivant n’est plus un héritier.

Cela crée toutefois des complications et alourdit la facture des droits de succession puisqu’il y a un héritier en moins.

C’est pourquoi, il est vivement conseillé d’inscrire dans les actes de donation une clause conventionnelle d’accroissement ou de réversion d’usufruit car la méthode de calcul d’évaluation de l’usufruit est nettement plus souple en matière d’enregistrement d’une donation qu’en matière de succession.

La différence peut être importante.

A noter que la loi fédérale prévoit une rétroactivité de cette règle d’usufruit successif sur les donations qui ont été consenties avant le 1er septembre 2018.

Cet usufruit successif est également applicable aux successions bruxelloises et wallonnes, mais la loi fiscale n’a pas prévu de taxation de cet usufruit successif dans ces deux régions.

Protection supplémentaire du « logement principal de la famille »

La réforme a également inséré une protection supplémentaire du logement principal de la famille qui est rédigée bien maladroitement puisque le législateur a mélangé les termes « conjoints » et « cohabitant légalement ». Or nous savons que des conjoints mariés ne sont pas autorisés à faire une déclaration de cohabitation légale.

Il faut en conclure que ce droit à l’usufruit successif est également garanti au cohabitant légal mais uniquement pour ce qui concerne le logement principal de la famille dans lequel le couple cohabitait légalement au jour du décès.

Accroissement légal d’usufruit   

L’article 3.141 du Code civil (*) a introduit une nouvelle notion dans notre droit qui était initialement pensée pour répondre à la problématique d’accroissement d’usufruit entre personnes mariées sous le régime de la communauté, mais a donné des idées dans d’autres situations.

Cette nouvelle disposition introduit un accroissement légal d’usufruit entre usufruitiers qui détiennent un usufruit ensemble.

Un exemple permettra de comprendre la portée de cette petite disposition :

Un homme âgé achète la nue-propriété au nom de ses enfants et l’usufruit à son nom à concurrence de 90 % et à concurrence de 10 % au nom de sa compagne.

Au décès de Monsieur, la compagne pourra bénéficier de l’accroissement légal de cet usufruit sans qu’actuellement cet accroissement ne soit taxé.

L’intérêt de cette manière d’agir est de régler un accroissement d’usufruit en faveur du survivant, sans que des droits de succession ne soient réclamés, et cela dans les trois régions, jusqu’à nouvel ordre.

Accroissement ou réversion conventionnelle d’usufruit

Enfin, une technique courante pour protéger le conjoint survivant est de stipuler un accroissement ou une réversion d’usufruit au profit du survivant.

L’accroissement vise un usufruit en indivision entre les deux conjoints, alors que la réversion vise un usufruit qui est immatriculé au nom d’un seul conjoint, mais avec un droit pour l’autre conjoint de rependre cet usufruit au décès du conjoint usufruitier.

De manière générale, il est conseillé de reprendre cette clause dans l’acte d’achat ou dans un acte de donation car elle permet d’échapper à la taxation de l’usufruit successif comme indiqué ci-dessus. 


(*) Art 3.141, quatrième alinéa : «  Par dérogation à l'alinéa 2, 2°, et sauf clause contraire, l'usufruit indivis ou commun établi dans le chef de deux ou plusieurs personnes accroît, à la fin de l'existence de l'une d'elles, aux autres, proportionnellement à leur part. »)

Cet article n'est valide qu'à la date où il a été publié.
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