Encadrement des loyers : une grille dépassée qui fausse le débat

Encadrement des loyers : une grille dépassée qui fausse le débat

La Commission Logement du Parlement bruxellois s’est penchée fin septembre sur l’impact de la grille indicative des loyers et sur le travail de la Commission paritaire locative. Si le dispositif a le mérite d’exister, de nombreuses voix se sont élevées pour dénoncer une grille fondée sur des données obsolètes et un encadrement qui, loin d’apaiser le marché, semble au contraire l’assécher.

Au 25 septembre 2025, la Commission paritaire locative (CPL) avait reçu 94 demandes d’avis, dont 77 depuis l’entrée en vigueur du dispositif le 1er mai. Sur ces dossiers, 34 étaient clôturés : cinq loyers ont été considérés comme abusifs, dix-sept comme non abusifs, onze dossiers ont été retirés par la partie demanderesse et un a été jugé manifestement infondé. Des chiffres fournis par la secrétaire d’État au Logement, Nawal Ben Hamou, qui témoignent d’une activité réelle de la CPL, mais aussi du caractère encore limité du dispositif. Ces données, faut-il le préciser, étaient celles arrêtées au 25 septembre, et non au moment de la publication de cet article.

La secrétaire d’État a rappelé que la CPL « n’a prononcé que cinq décisions confirmant le caractère abusif des loyers » et qu’« il est donc prématuré de tirer des conclusions ». Elle souligne par ailleurs que la grille des loyers est indexée annuellement et que son actualisation statistique est en cours, avec quelque 13 000 nouveaux baux enregistrés dans le système régional depuis janvier.

Une grille jugée obsolète et non représentative

Mais pour la majorité des intervenants en commission, c’est bien cette grille indicative qui pose problème.

Louis de Clippele (MR) a rappelé que celle-ci « repose sur quelque 14 000 baux collectés entre 2017 et 2020 », soit sur des données déjà vieilles de cinq à huit ans. « La grille n’a pas été actualisée et ne reflète pas le marché. Résultat : un bail sur deux est considéré comme abusif, ce qui est mathématiquement impossible si la médiane par quartier et par type de bien était respectée. » Pour lui, cette distorsion mine la crédibilité du dispositif et alimente un sentiment d’arbitraire.

Même constat du côté de Mathias Vanden Borre (N-VA), qui dénonce une approche contraire à toute logique économique :

« La régulation des prix va à l’encontre de toute logique. Il faut créer un climat favorable à l’investissement, sinon les prix continueront à grimper, c’est la loi du marché. » Selon lui, la multiplication des contraintes finit par décourager les investisseurs, ce qui se traduit par une baisse de l’offre et une augmentation mécanique des loyers.

« Nous avions prévu cette baisse de l’offre », rappelle Marie Cruysmans

Pour Marie Cruysmans (Les Engagés), les effets de la mesure étaient parfaitement prévisibles.

Elle l’a rappelé en commission : « Les constats que nous dressons aujourd’hui étaient prévisibles : baisse de l’offre locative, en particulier de l’offre abordable, désinvestissement flagrant, baisse de confiance des propriétaires. »

La députée regrette que ces signaux d’alerte, formulés dès les débats préparatoires, n’aient pas été pris en compte. Elle insiste sur la nécessité de réévaluer rapidement le dispositif, estimant que la grille, fondée sur des données obsolètes, « n’est pas représentative de la réalité du marché locatif bruxellois de 2025 ».

Joëlle Maison : un outil utile mais mal calibré

Joëlle Maison (DéFI) a, elle aussi, défendu une position nuancée.

Si elle reconnaît que la création de la CPL constitue « une avancée législative indéniable » en dotant les juges de paix d’un cadre clair pour sanctionner les loyers abusifs, elle regrette que « les baux utilisés pour établir la grille remontent parfois à six, sept ou huit ans ».

Pour la députée, « l’ancienneté de l’échantillon statistique affaiblit la crédibilité de l’outil et son acceptation par les acteurs du marché ».

Un désinvestissement inquiétant

Plusieurs élus, dont Sonja Hoylaerts (indépendante), ont également attiré l’attention sur les conséquences économiques. Elle a dénoncé « une insécurité juridique croissante pour les propriétaires », notant que « les investissements dans le résidentiel ont chuté de 36 % en 2024 par rapport à 2023 » et que « le nombre d’annonces de location a diminué de plus de 20 % ».

Le message est clair : la combinaison d’un encadrement rigide et d’une grille erronée détourne les investisseurs et appauvrit le parc locatif.

Une CPL sérieuse, mais un cadre faussé

Tous reconnaissent toutefois que la Commission paritaire locative remplit son rôle. Le ton des échanges, même critiques, a souvent salué « le bon esprit et l’efficacité du travail de la CPL ».

Avec moins d’une centaine de dossiers traités, l’instance montre qu’elle peut fonctionner de manière pragmatique.

Mais son efficacité restera limitée tant que la grille de référence ne sera pas corrigée.

Une exigence : intégrer les baux enregistrés depuis janvier

Nous exigeons désormais que les baux enregistrés dans l’outil régional depuis janvier 2025 soient immédiatement pris en compte dans le calcul de la grille indicative des loyers.

Il est incompréhensible que la secrétaire d’État s’obstine à ne pas les intégrer, alors même qu’ils représentent une base plus complète, plus récente et plus représentative du marché.

Nous ne pouvons nous empêcher de penser que cette non-prise en compte est volontaire, et qu’elle vise à maintenir artificiellement une grille déconnectée du réel, biaisant ainsi le travail de la CPL et la qualification des loyers dits « abusifs ».

En conclusion

L’encadrement des loyers, s’il est légitime dans son intention, ne peut pas reposer sur une base fragilisée.

Tant que la grille sera fondée sur des données obsolètes, elle créera plus de tensions qu’elle n’en résoudra.

La CPL travaille sérieusement, mais elle a besoin d’un outil fiable.

C’est donc en corrigeant la grille, et non en la figeant, que la Région pourra espérer restaurer la confiance entre propriétaires et locataires — et, enfin, garantir un marché locatif équilibré et transparent.

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