La relation contractuelle entre le bailleur et le preneur est, par essence, déséquilibrée ?

Le CRI n°456 - Septembre 2021
La relation contractuelle entre le bailleur et le preneur est, par essence, déséquilibrée ?

La Députée DéFI Joëlle Maison interpelle la Secrétaire d'Etat PS au Logement Nawal Ben Hamou sur le postulat contestable selon lequel la relation contractuelle entre le bailleur et le preneur est, par essence, déséquilibrée.

Mme Joëlle Maison (Défi)

À la suite de la sixième réforme de l'état, l'autorité fédérale a transféré aux Régions de nouvelles compétences en matière de logement, et notamment celle relative à la législation organisant la location de biens immeubles affectés à l'habitation.

La Région de Bruxelles-Capitale a été la première à se doter d'un tel cadre législatif en adoptant l'ordonnance du 27 juillet 2017 visant la régionalisation du bail d'habitation. Ce texte, entré en vigueur le 1er janvier 2018, avait pour objet d'adapter et de moderniser la législation relative aux baux d'habitation héritée du gouvernement fédéral en apportant une série de modifications et en introduisant de nouveaux instruments, comme le bail étudiant, le bail de colocation ou encore le bail glissant.

Dans sa déclaration de politique régionale, le gouvernement bruxellois annonce qu'il "évaluera la mise en œuvre de la réforme du bail et proposera les modifications nécessaires afin de garantir le droit au logement à un loyer raisonnable en luttant contre les loyers abusifs".

Mon collègue, M. Mohamed Ouriaghli, vous a interrogée à ce propos le 11 mars et vous nous avez informés que vous aviez sollicité les services d'un consul- tant juridique, qui a été chargé de procéder à une évaluation complète de l'ordonnance du 27 juillet 2017 et d'émettre, au besoin, des propositions de modifications législatives ou réglementaires visant à garantir la protection et l'effectivité du droit au logement en Région bruxelloise.

Vous avez choisi d'orienter l'analyse en demandant à l'évaluateur externe de se pencher plus particulièrement sur trois points.

Tout d'abord, le consultant devait s'attacher à formuler des propositions d'adaptations législatives destinées à "corriger le rapport déséquilibré entre le bailleur et le locataire".

Ensuite, l'adjudicataire devait examiner la possibilité d'introduire dans la législation bruxelloise la faculté d'intenter des actions d'intérêt collectif en matière de logement. Enfin, le consultant devait plancher sur le projet de création d'un fonds de prise en charge des arriérés de loyer : modalités de mise en place, juridique à adopter, sources de financement, obligations à respecter. Le rapport final devait être transmis au gouvernement en juin 2021.

étant profondément attaché à l'évaluation des politiques publiques, le groupe DéFI tient à saluer la démarche qui consiste à faire appel à un prestataire externe indépendant pour dresser le bilan de l'application de l'ordonnance de régionalisation du bail. était-il toutefois souhaitable d'orienter le travail de l'évaluateur en se basant sur le postulat contestable selon lequel la relation contractuelle entre le bailleur et le preneur est, par essence, déséquilibrée ?

Selon DéFI, la législation en vigueur dans notre Région permet déjà de garantir un certain équilibre entre les droits et les devoirs respectifs des parties. S'il existe dans le secteur locatif privé bruxellois quelques dérives et excès manifestes imputables à des propriétaires peu scrupuleux et à des marchands de sommeil, ceux-ci ne représentent qu'une infime minorité des bailleurs. Telle est précisément la raison pour laquelle les partis de la majorité ont élaboré une proposition d'ordonnance visant à instaurer une commission paritaire locative et à lutter contre les loyers abusifs au regard des caractéristiques intrinsèques des logements.

Le gouvernement a-t-il lancé cette procédure ? Votre réponse à M. Verstraete semble le confirmer. Si oui, combien de soumissionnaires ont-ils remis une offre ? Laquelle a été retenue ? Quel est le coût total de cette mission d'évaluation ?

Le consultant a-t-il bien remis au gouvernement bruxellois le rapport final consacré à l'évaluation de la législation adoptée dans le cadre de la régionalisation du bail d'habitation ? Si oui, pourriez-vous nous en présenter les principaux enseignements ?

Selon l'évaluateur externe, quelles dispositions devraient-elles être adaptées en vue de renforcer la protection et l'effectivité du droit au logement en Région bruxelloise ? Pourriez-vous passer en revue les propositions de modifications législatives et réglementaires émises par le consultant ?

Quelles dispositions ce dernier suggère-t-il d'adapter, d'abroger ou d'insérer dans le Code bruxellois du logement pour corriger le prétendu déséquilibre qui caractériserait les relations contractuelles entre le bailleur et le locataire ? D'après le consultant, quelles devraient être les modalités de l'action d'intérêt collectif en matière de logement ?

Quelles suggestions le prestataire a-t-il émises concernant le projet de constitution d'un fonds de prise en charge des arriérés locatifs ? Ce fonds serait-il intégralement financé par les pouvoirs publics ou serait-il partiellement alimenté par des cotisations versées par les bailleurs et les locataires ?

Comment ce fonds s'articulerait-il avec le dispositif de l'assurance loyer garanti, qui devrait être instauré dans le cadre de la politique de conventionnement des logements privés dont les loyers sont conformes à la grille indicative ?

Comment le gouvernement régional reçoit-il les diverses propositions de modifications législatives et réglementaires formulées par le consultant ?

Mme Nawal Ben Hamou , Secrétaire D'état (PS)

Mme la députée, je ne partage évidemment pas vos affirmations selon lesquelles la législation en vigueur aujourd'hui permettrait déjà de garantir un parfait équilibre entre le bailleur et le preneur. Je me réjouis évidemment du dépôt de la proposition de la majorité relative à la commission paritaire locative, qui répond à une nécessité de mettre en place des mécanismes visant à lutter contre les loyers abusifs.

Je me permets de vous rappeler les chiffres de l'étude du Rassemblement bruxellois pour le droit à l'habitat que j'énonçais en réunion de commission le 11 mars dernier. Sur tout le contentieux locatif, seuls 7 % des affaires sont introduites par des locataires. Cela signifie donc que 93 % des affaires introduites devant le juge de paix et relatives à un bail d'habitation le sont par des bailleurs. Neuf affaires sur dix introduites par un bailleur portent sur une dette de loyer et s'accompagnent bien souvent d'une demande d'expulsion pour non-respect des obligations du contrat de bail. Cinquante pour cent des locataires assignés devant la justice de paix ne se présentent pas à l'audience pour exposer leur situation et leurs moyens de défense.

Ce déséquilibre manifeste existe donc bel et bien. Aussi, j'ai demandé que l'étude soit réalisée sous l'angle de la pauvreté et c'est un choix politique qui répond à un constat alarmant : celui d'une paupérisation croissante de la population bruxelloise. En effet, entre 2008 et 2018, le nombre de personnes percevant un revenu d'intégration sociale a augmenté de plus de 68 % à Bruxelles. Parallèlement à cette paupérisation des ménages, les loyers ne cessent d'augmenter. Pour reprendre les chiffres de l'Observatoire des loyers pour 2018, ils ont augmenté de 20 %, en plus de l'indexation, par rapport à 2004.

Ce phénomène s'est évidemment accentué avec la crise sanitaire et économique, et pour ne reprendre que deux constats cités par le Service de lutte contre la pauvreté, la précarité et l'exclusion sociale, 45 % des jeunes ménages reconnaissent qu'ils ont des difficultés financières, et nous faisons face à une croissance particulièrement élevée du nombre de bénéficiaires du revenu d'intégration sociale.

Alertée par cette précarisation des ménages bruxellois, j'ai souhaité m'assurer de l'efficacité et de la concrétisation du droit au logement pour les personnes les plus vulnérables. C'est l'objet de cette étude.

Pour répondre à vos questions sur la procédure d'attribution, la passation du marché public de services juridiques a été lancée fin septembre 2020, selon la procédure négociée sans publication préalable sur la base de l'article 42, § 1er, de l'article 88 et de l'article 89, § 1er, 2°, de la loi du 17 juin 2016 relative aux marchés publics et de l'article 11 de l'arrêté royal du 18 avril 2017 relatif à la passation des marchés publics dans les secteurs classiques.

Pour satisfaire aux exigences bruxelloises en matière de publicité, le marché a fait l'objet d'une publication au niveau belge sur la plate-forme fédérale officielle e-Procurement en date du 8 octobre 2020. Afin de laisser suffisamment de temps aux prestataires intéressés, la remise des offres était fixée au 16 novembre 2020.

En réponse à la publication, une seule offre a été déposée sur l'application e-Tendering de la plate-forme e-Procurement par l'Université Saint-Louis Bruxelles. Celle-ci répondait aux attentes du pouvoir adjudicateur et aux enjeux pressentis de la présente mission d'analyse et d'évaluation. Le marché a donc été attribué à l'Université Saint-Louis Bruxelles en date du 4 décembre 2020, pour un montant total de 78.832,65 euros.

Conformément aux délais fixés par le cahier spécial des charges, le rapport final est attendu pour la fin du mois de juin. Un rapport intermédiaire m'est bien parvenu. Je répondrai à vos questions sur le contenu des recommandations précises du rapport lorsque je disposerai de sa version définitive.

Mme Joëlle Maison (Défi).

Il est vrai que nous divergeons politiquement sur le sujet, mais j'estime que vous faites une pétition de principe.

Vous affirmez qu'en Région bruxelloise, le nombre de personnes précarisées qui ne parviennent pas à payer leur loyer et sont assignées par leur propriétaire est en augmentation. Cela ne signifie pas pour autant que l'actuelle législation relative aux baux est déséquilibrée en faveur du bailleur ; ces deux réalités ne sont absolument pas liées.

Je concède qu'un locataire vulnérable confronté à un bailleur peu scrupuleux pourra hésiter à saisir le juge de paix dans un segment du marché locatif en tension. Selon l'Observatoire des loyers, les marchands de sommeil et les biens insalubres doivent représenter jusqu'à 10 % du marché locatif privé bruxellois, lequel compte 330.000 biens. Cela n'implique toutefois en rien que la législation relative aux baux est déséquilibrée en faveur du bailleur.

Nous devons fournir à ces personnes les outils pour saisir une autre instance que le juge de paix. C'est pourquoi la proposition de saisine d'une commission paritaire locative est une bonne idée. Sur ce point, nous sommes d'accord.

En revanche, à la question du pouvoir d'achat, il faut répondre par l'emploi, la formation, l'accès au CPAS et à une aide sociale. On ne résout pas le problème de la précarité en s'attaquant à un outil juridique et à une législation relative aux baux. Ce n'est d'ailleurs pas la mission que la déclaration de politique régionale avait donnée au gouvernement, puisqu'il s'agissait d'évaluer de nouveaux instruments introduits par l'ordonnance du 27 juillet 2017 visant la régionalisation du bail d'habitation et d'en faire un bilan global. Sur ce point, nous ne sommes pas d'accord.

En tout état de cause, il semble que le contenu de l'étude n'avait pas encore été approuvé par le gouvernement, mais que celle-ci devrait l'être prochainement. Je vous réinterrogerai alors avec un nouvel élément, afin de pouvoir en reparler dans cette commission avant la fin de la session parlementaire.

Cet article n'est valide qu'à la date où il a été publié.
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