Le Juge de Paix, arbitre des nouvelles provisions pour charges ?

Le CRI n°469 - Décembre 2022
Le Juge de Paix, arbitre des nouvelles provisions pour charges ?

Cette crise énergétique fait mal et ce n’est pas fini…

Dans le paiement que le locataire doit effectuer au bailleur, si sont incluses des charges, cette part va gonfler progressivement, autrement plus vite que le loyer.

Il y aura donc un déséquilibre entre ces deux postes.

Le risque de voir le preneur creuser « un trou », s’il paie mensuellement une provision notoirement insuffisante, est grand.

Le contrat fait la loi des parties et, sauf accord entre bailleur et preneur sur la révision de la provision pour charges, c’est, malgré la hausse fulgurante de l’énergie, la provision antérieurement fixée que devra acquitter le preneur.

Certes, le contrat prévoit sans doute une clause semblable à celle-ci : « Lorsqu’il s’agit d’une provision, le montant de celle-ci pourra être modifié en cas d’insuffisance. Il sera tenu compte des consommations précédentes, de l’évolution des prix et de la constitution de stocks éventuels de combustibles ».

Mais le refus du locataire de voir adapter cette provision ne rendra pas automatiquement obligatoire celle majorée unilatéralement par le bailleur.

Aussi, la prudence est de mise.

Nous ne pouvons qu’inviter nos affiliés bailleurs à se pencher sur leur contrat de bail et sur la clause portant sur les provisions pour charges, lorsque leur bien entraîne des charges qui, pour partie, sont à charge des locataires mais dont le débiteur tenu à l’égard du fournisseur d’énergie reste le bailleur.

On ne peut exiger du bailleur qu’il joue le rôle du « financeur » des consommations énergétiques de son locataire.

Prenons un exemple simple

Un bail pour un studio conclu en 2020 au loyer de 600,00 € reprend une provision pour charges de 90,00 €.

Le 31.12.2021, le bailleur comptabilise, pour ce locataire, des charges annuelles de 1.400,00 €.

A cette date, il a donc dû régulariser la situation et le preneur devra acquitter (1.400,00 € - (90,00 € X 12) = 1.080,00 €).

Il y aura donc un surcoût de 320,00 €, au vu des provisions versées, montant pouvant déjà être considéré comme élevé pour une personne dont les revenus ne lui ont peut-être pas permis de faire un autre choix que la location d’un studio.

Fin 2022, les charges auront vraisemblablement augmenté. Reprenons une augmentation de 500,00 €.

Ainsi, les charges totales sont passées de 1.400,00 € à 1.900,00 €.

A provision égale, le surplus à acquitter sera 1.900,00 € - (90,00 € X 12) = 820,00 €, soit plus que le loyer non indexé.

N’est-il pas à craindre une difficulté légitime de trésorerie du locataire n’ayant pas à suffisance budgétisé le solde qu’il doit acquitter ?

Ne faut-il pas craindre un impayé difficilement recouvrable ?

La voie la plus adaptée est bien naturellement celle de la négociation avec son locataire pour le convaincre au plus tôt de revoir cette provision.

Mais, ainsi que précisé supra, à défaut d’accord, c’est le contrat conclu avant la crise énergétique qui reste d’application.

Que dit le Décret Wallon sur les baux d’habitation ?

Sous la section 6, article 58, §3, il est précisé ce qui suit :

« A tout moment, chacune des parties peut demander au Juge de Paix la révision des frais et charges forfaitaires ou leur conversion en frais et charges réelles.
Le Juge statue notamment sur la base de l’évolution des dépenses réelles. Il décide la conversion si elle est possible ».

Que dit l’ordonnance portant le Code bruxellois du logement ?

L’article 224/2 § 2, reprend le même texte.

Le texte légal, si on ne se livre à aucune interprétation, ne permet donc que la révision des frais et charges forfaitaires ou leur conversion.

L’article 36, §3 du décret flamand sur le bail d’habitation reprend également le même texte.

Il n’est rien dit sur la possible augmentation de la provision.

N’y-a-t-il pas là un oubli de notre législateur ?

Ne pourrait-on toutefois pas considérer que ce texte permet au Juge d’aussi se pencher sur un aspect des frais et charges, soit celui des provisions pour charges ?

Si tel n’est pas le cas, nous risquons alors de nous trouver dans une impasse en cas d’absence d’accord des parties sur l’importance de la provision fixée contractuellement.

Nous aimerions connaître la position des Juges de Paix éventuellement saisis d’une demande de majoration de la provision pour charges.

Partons du principe que le Juge de Paix se déclare compétent par rapport à une demande formulée…

Dans ce cas, va-t-il augmenter la provision mensuelle de 20, 30 ou 40% ?

Il doit pouvoir aussi, puisque c’est une provision, anticiper par rapport à la hausse des coûts.

Certes, cela dépendra du type d’énergie utilisé dans l’habitation.

Il nous apparaît utile d’insister, en cas de compétence reconnue par le Juge de Paix en cette matière, sur l’importance pour le bailleur de présenter un dossier « bien ficelé » reprenant, sur base des factures de l’exercice précédent, les consommations pour chaque type d’énergie (gaz, électricité, éventuellement mazout) avec, si possible, un tableau démontrant l’accroissement.

Il peut ainsi aider le magistrat dans ce travail de « prévisionniste ».

Et si, déjà dans le passé, le locataire se faisait « tirer l’oreille » pour acquitter le surplus des provisions fixées une fois les décomptes finaux dressés, il est légitime que le bailleur le précise au Tribunal afin d’éviter un accroissement de la dette.

Mais une autre question peut se poser dans la mesure où « l’économie » même du contrat peut se trouver bouleversée.

Si un locataire a loué un studio pour 600,00 € avec, fixée contractuellement, une provision pour charges de 90,00 €, et si, après décision judiciaire intervenue à défaut d’accord (pour autant que le tribunal se déclare compétent…), les charges à titre de provisions, sont passées à 150,00 €, le locataire qui n‘avait pas prévu une dépense mensuelle de 750,00 € (600,00 € de loyer + 150,00€ de provision), ne va-t-il pas éventuellement demander, au vu de ses ressources limitées, de quitter le bien ?

De même, le bailleur, connaissant les difficultés de son locataire, ne sera-t-il pas enclin à préférer une résiliation du bail pour éviter un impayé qui s’accroît ?

A nouveau, le contact direct et franc entre bailleur et locataire s’imposera.

Certes, le preneur pourrait être tenté d’invoquer la théorie de l’imprévision, théorie non encore inscrite dans les textes mais que la doctrine et une certaine jurisprudence acceptent de reconnaître.

Quoiqu’il en soit, il est à relever que dans notre nouveau droit des obligations, cette théorie trouvera sa place.

L’imprévision est un concept qui autorise la révision du contrat, en cas de survenance, postérieurement à la conclusion de celui-ci, de circonstances présentant les caractéristiques suivantes :

  • Etre non imputable à la partie qui s’en prévaut.

  • Etre imprévisible.

  • Avoir pour effet le bouleversement de l’économie contractuelle.

L’explosion des charges n’est certainement pas imputable au preneur.

On peut considérer qu’il bouleverse l’économie contractuelle.

Est-il imprévisible ?

Il est évident que c’est cette question qui est susceptible de générer le plus de débats dans la mesure où le caractère imprévisible est jusqu’ici interprété très restrictivement.

En conclusion, le conseil que nous pouvons donner à nos affiliés bailleurs serait double

  1. Si votre contrat prévoit des provisions pour charges insuffisantes, négociez au plus tôt avec votre locataire une majoration évitant que le solde à acquitter, au moment des comptes à dresser, ne soit trop élevé.

  2. En cas d’impossibilité pour le locataire de pouvoir faire face à cette majoration, plutôt que de se diriger vers le Juge de Paix (dont la compétence pour statuer sur une majoration de la provision est encore à établir), voyez avec celui-ci la voie la plus adéquate pour éviter l’accroissement de la dette et n’excluez pas d’emblée la résiliation amiable.

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