La RTBF a récemment consacré, dans son émission Investigation, un long reportage aux dérives possibles dans la gestion des copropriétés. Le traitement proposé, souvent caricatural quant à la profession de syndic, mettait toutefois en lumière un dossier particulièrement grave : celui du syndic Jean-Michel Van Laeys (société Cinagi), soupçonné d’avoir détourné entre 2 et 3 millions d’euros au préjudice de nombreuses copropriétés.
Le SNPC, qui avait alerté ses membres dès 2022, revient sur cette affaire et rappelle les mécanismes de vigilance indispensables pour protéger les copropriétaires.
Une affaire qui ébranle un secteur pourtant très encadré
La grande majorité des syndics exercent leur métier avec sérieux, rigueur et honnêteté — il est important de le rappeler. C’est pourquoi il est regrettable que le reportage de la RTBF ait adopté une approche essentiellement à charge, sans rendre pleinement compte des réalités quotidiennes et des contraintes auxquelles les syndics sont confrontés.
L’émission a toutefois mis en lumière un dossier exceptionnel par sa gravité : celui de Jean-Michel Van Laeys, figure bien connue de l’immobilier bruxellois depuis les années 1990, architecte de formation, ancien agent immobilier agréé IPI et cofondateur d’une association professionnelle.
Selon la RTBF, les soupçons à son encontre se sont accumulés dès 2020 : entrepreneurs impayés, travaux jamais lancés malgré des emprunts contractés par les copropriétés, disparitions inexpliquées de fonds…
L’avocate Sandra Berbuto, interrogée dans l’émission, résume l’ampleur des faits : « En l’état actuel de l’instruction, on estime qu’une dizaine de copropriétés ont été lésées. Le montant total détourné oscillerait entre 2 et 3 millions d’euros. » (RTBF)
Pour certains immeubles, la situation a été si lourde financièrement qu’elle a forcé plusieurs copropriétaires à vendre leur appartement pour faire face aux appels de fonds extraordinaires destinés à combler les déficits.
Le mode opératoire décrit dans l’enquête : faux extraits, bilans maquillés et transferts croisés
L’enquête, telle que rapportée par la RTBF, détaille un procédé méticuleux.
Jean-Michel Van Laeys aurait notamment :
produit de faux extraits de compte afin de convaincre les commissaires aux comptes que les provisions étaient intactes ;
établi de faux bilans pour masquer les déficits ;
opéré des transferts d’argent entre différentes copropriétés, créant des « vases communicants » pour camoufler les trous financiers.
L’objectif : tromper le commissaire aux comptes, maillon clé du contrôle interne d’une copropriété.
Selon l’avocate Sandra Berbuto citée par la RTBF : « Son stratagème était particulièrement bien huilé. Les faux extraits faisaient croire que les comptes étaient approvisionnés alors qu’ils étaient quasiment vides. »
La RTBF indique également que l’homme s’est installé dans le sud de la France, tout en niant toute intention frauduleuse.
Le SNPC avait tiré la sonnette d’alarme dès 2022
Loin d’être une découverte, ces faits avaient déjà été portés à l’attention des copropriétaires par le SNPC, qui publiait le 27 décembre 2022 un article intitulé « Faillite et détournements du syndic Jean-Michel Van Leys – sprl Cinagi ».
Dans cet article, le SNPC expliquait :
avoir été informé à l’été 2022 d’éventuels détournements ;
avoir lancé un appel à témoignages auprès de ses membres pour mesurer l’étendue du phénomène ;
avoir constaté, au fil des semaines, que les détournements concernaient plus d’une dizaine de copropriétés, pour un montant dépassant le million d’euros ;
que l’IPI avait rapidement pris des mesures disciplinaires et fait désigner un administrateur judiciaire.
Le texte de 2022 insistait déjà sur la nécessité pour les copropriétés de déclarer un sinistre auprès d’AXA, l’assureur chargé de garantir les actes d’indélicatesse des syndics agréés, et rappelait que cette assurance pouvait être difficile à mobiliser — ce que la RTBF confirme également aujourd’hui.
Des mécanismes de contrôle encore trop souvent négligés
L’affaire Cinagi souligne une réalité : même si les détournements restent rares, une copropriété doit se doter de contrôles internes solides.
Le rôle du commissaire aux comptes est ici fondamental. Celui-ci doit notamment :
examiner les factures et vérifier que les prestations ont bien été exécutées ;
confronter chaque facture à un extrait de compte réel ;
demander des explications en cas d’anomalie ;
faire preuve d’indépendance et de rigueur.
Les autres copropriétaires, eux, ont pleinement le droit :
de consulter les documents comptables ;
d’interpeller le syndic en cas de doute ;
de proposer la nomination d’un commissaire aux comptes plus expérimenté lorsque la taille de la copropriété le justifie.
Il ne s’agit toutefois pas de basculer dans la paranoïa : un syndic ne peut consacrer son temps à répondre quotidiennement à des demandes individuelles de justification pour chaque dépense. Mais tout signe de malaise comptable, récurrence de problèmes, refus de fournir des documents ou incohérences doivent alerter.
Lorsqu’une suspicion sérieuse, étayée par des éléments concrets, apparaît, il ne faut pas hésiter à saisir l’IPI, dont le pouvoir disciplinaire est bien réel. Dans le dossier Cinagi, l’IPI, rapidement alerté, a d’ailleurs réagi sans délai : l’Institut a notamment sollicité auprès du Tribunal de première instance de Bruxelles la désignation d’un administrateur provisoire pour la société, afin d’éviter toute nouvelle dérive et de sécuriser la gestion des copropriétés concernées.
Les recommandations du SNPC pour une copropriété mieux protégée
Pour éviter qu’un cas comme celui de Cinagi ne se reproduise, le SNPC recommande :
Renforcer la vigilance du commissaire aux comptes
Contrôle régulier et minutieux des extraits de compte réels ;
Vérification systématique de la correspondance factures/prestations ;
Rédaction d’un rapport clair présenté à l’assemblée générale.
Exiger du syndic une transparence totale
Remise des extraits de compte à toute demande raisonnable ;
Mise à disposition rapide de la comptabilité ;
Utilisation obligatoire de comptes bancaires séparés par copropriété, un pour le fonds de roulement et un pour le fonds de réserve.
Encourager les copropriétaires à s’informer
Lecture attentive des procès verbaux AG ;
Participation active aux décisions, en d’autres termes aux assemblées générales ;
Demander l’organisation de réunions d’information si nécessaire.
Agir vite en cas de doute sérieux
Demander une AG extraordinaire ;
Solliciter l’avis d’un avocat spécialisé ;
Introduire une plainte à l’IPI si des faits probants apparaissent.
Mobiliser l’assurance cautionnement
En cas d’indélicatesse confirmée, chaque copropriété doit déclarer un sinistre auprès d’AXA, en tenant compte du plafond de 250 000 € par sinistre et par année d’assurance.
Comme les détournements se sont étalés sur plusieurs années, il peut être raisonnablement défendu que pour chacune des années concernées par des faits litigieux, AXA devrait intervenir à concurrence de 250.000 euros.
Conclusion
L’affaire Cinagi n’est pas représentative du métier de syndic, exercé chaque jour avec intégrité par une très large majorité de professionnels. Mais elle rappelle que la confiance n’exclut jamais le contrôle. Grâce à des mécanismes de vérification solides, une communication transparente et une vigilance adaptée, les copropriétaires peuvent protéger efficacement leur patrimoine… et éviter que des dérives isolées ne se transforment en catastrophes financières.