Le SNPC et VE attaquent les mesures régionales adoptées en octobre 2022 en vue de limiter l’indexation des loyers devant la Cour constitutionnelle

Le CRI n°475 - Juin 2023
Le SNPC et VE attaquent les mesures régionales adoptées en octobre 2022 en vue de limiter l’indexation des loyers devant la Cour constitutionnelle

Fin 2022, les Régions ont pris la décision de limiter et même d’exclure le droit des bailleurs privés d’indexer les loyers de leurs biens lorsque celui-ci est considéré comme une « passoire énergétique ». Dans ce contexte, la performance énergétique est mesurée sur base du controversé certificat PEB.

Le Syndicat National des Propriétaires et des Copropriétaires (SNPC) et son homologue néerlandophone Verenigde Eigenaars (VE) ont introduit des recours en annulation devant la Cour constitutionnelle en vue de faire annuler les législations adoptées au niveau de chaque Région.

La défense des intérêts de nos deux associations est assurée par le Cabinet d’avocats Crowell & Moring, Rue Joseph Stevens 7, 1000 Bruxelles.

En effet, le SNPC et VE considèrent de telles mesures arbitraires, discriminatoires, et adoptées en violation du droit de propriété des propriétaires.

Le SNPC et VE ne peuvent par ailleurs que regretter que dans un Etat de droit, les Autorités publiques ne tiennent pas compte des décisions (déjà) prises par la Cour constitutionnelle et de renvoyer ainsi à l’arrêt d’annulation obtenu par le SNPC en 2018 dans le cadre du saut d’index en Région wallonne.

Des textes bancals sont ainsi adoptés et d’aucuns espèrent qu’il n’y aura pas de réaction, de recours etc. Dans le cas du saut d’index en Région wallonne, le Conseil d’Etat, avant son vote par le Parlement wallon, avait en outre rendu un avis négatif.

Pour les décrets et ordonnances qui nous intéressent dans le cadre des recours qui viennent d’être introduits, pour éviter des avis négatifs du Conseil d’Etat il a été recouru à des propositions de décrets ou d’ordonnance et non à des projets des gouvernements concernés.

1. Le certificat PEB n’est pas un critère objectif de distinction entre propriétaires et n’est pas un outil approprié et fiable pour mesurer la performance énergétique d’un bien

Tout d’abord, les recours en annulation déposés démontrent par des exemples concrets que le certificat PEB n’est pas un outil objectif, fiable et approprié pour mesurer la performance énergétique réelle d’un bien à savoir :

- Le certificat PEB a été conçu comme outil purement indicatif pour permettre à des candidats acheteurs ou locataires de pouvoir comparer les biens sur le marché de façon toute théorique – et non comme un outil contraignant fondé sur des critères objectifs et concrets, propres à chaque cas et situation - et dès lors :

  • Un tel certificat ne mesure que la performance théorique d’un bien par mètre carré sur une année sur base de critères préétablis théoriques et défaillants ne reflétant pas la réalité. Les statistiques officielles publiées démontrent d’ailleurs que la consommation réelle pour chaque Région est bien inférieure à la consommation théorique moyenne telle que mesurée par les certificats PEB.

  • Cette différence entre la consommation réelle et la consommation théorique mesurée par le certificat PEB s’explique par le fait que le protocole et la méthode de calcul PEB présentent de nombreuses failles dont, par exemple, le fait que seuls les travaux et rénovations qui sont appuyés par des factures ou d’autres documents justificatifs sont pris en considération dans le protocole. A défaut, des valeurs par défaut, particulièrement pénalisantes, sont enregistrées dans le protocole. En d’autres termes, le certificateur ne tiendra pas compte des travaux d’isolation du toit ou de la façade, de pose de châssis double vitrage que le propriétaire ne peut prouver avec une facture/documents justificatifs, même si l’isolation/le double vitrage est bien présent, visible et vérifiable. Un tel choix a été fait, a un moment où le certificat n’avait qu’un but indicatif (et non pénalisant) pour des raisons évidentes d’économie de temps et d’argent et ce au détriment de la fiabilité et au détriment des procédures.

  • Les failles dans le protocole ont pour conséquence que lorsqu’un même bien est certifié par plusieurs certificateurs, les scores obtenus diffèreront substantiellement. Statistiquement, il n’est pas exceptionnel que le différentiel d’écart s’élève à près de 40 % et que ce différentiel résulte en un ou plusieurs labels de différence. Au vu de ce qui précède, selon le certificateur engagé, un propriétaire pourra ou non indexer (totalement ou partiellement) son loyer. Cette différence de score entre plusieurs certificats a d’ailleurs été particulièrement observée à Bruxelles dès lors qu’il n’y avait aucun contrôle d’accès à la profession de certificateurs en pratique jusqu’en 2020. Le manque de fiabilité n’est un secret pour personne et a été démontré à suffisance dans le cadre de l’émission #Investigation de la RTBF « on a testé la fiabilité du certificat PEB, un même logement reçoit 5 scores différents »…

  • Le protocole et la méthode de calcul PEB contiennent des critères qui n’ont aucun lien avec la consommation énergétique du bien. A titre d’exemple, seule la surface d’un bien se situant en-dessous d’une hauteur de plafond de plus de 2 m 10 à Bruxelles et en Wallonie et plus de 1 m 50 en Flandre sont prises en compte dans le protocole. Dans les appartements mansardés, cette règle peut exclure de nombreux mètres carrés. Dès lors que le certificat PEB calcule la consommation réelle d’un bien par mètre carré, cette règle a pour conséquence que le volume total de kilowattheures consommés sera divisé par une surface théorique plus petite que la surface réelle, ce qui donnera un résultat plus élevé (« moins bon ») par mètre carré.

- Ensuite, certains propriétaires bailleurs n’ont jamais été soumis à l’obligation d’avoir un certificat PEB. En effet, l’obligation d’obtenir un certificat PEB en cas d’une vente ou de location n’est d’application que depuis 2011. Dès lors, un certain nombre de propriétaires qui ont le même locataire depuis 2010 voire avant 2010 n’ont pas de certificat PEB en toute légalité. En outre, dans chacune des Régions, un « mauvais » score PEB ne devait pas être sanctionné avant plusieurs années (2030 ou 2033) conformément à leur plan d’action climatique respectif. Une telle mesure va donc à l’encontre de la sécurité juridique et de l’attente légitime des citoyens, ce qui n’est pas acceptable dans un Etat de droit.

- Enfin, le protocole et la méthode de calcul changent régulièrement. Certaines de ces modifications ont un impact significatif sur le score PEB d’un même bien – alors même qu’il n’a été procédé à aucun travaux de réparation/rénovation par le propriétaire – et le font même basculer dans un autre label. Une différence d’une classe en termes de label peut évidemment avoir un impact sur la possibilité d’indexer le loyer d’un bien. Aucune mise à jour automatique des certificats établis en vertu d’une ancienne version du protocole n’existe à l’heure actuelle pour remédier à un tel problème.

2. La limitation de l’indexation des loyers telle qu’elle a été conçue par les législateurs régionaux instaure de nombreuses discriminations

Les recours déposés devant la Cour insistent sur le fait que le champ d’application des mesures régionales limitant voire interdisant l’indexation des loyers n’a pas du tout été modalisé de telle sorte que ces mesures créent de nombreuses discriminations entre locataires, entre propriétaires, et entre locataires d’une part et propriétaires d’autre part.

En ce qui concerne les discriminations entre locataires, les principales discriminations découlent du fait que la limitation voire l’interdiction de l’indexation ne s’applique pas uniquement en faveur des locataires qui sont les plus touchés par la crise des prix de l’énergie.

D’une part, aucun critère n’a été introduit pour réserver ces mesures aux locataires se situant dans les quartiles de revenus les plus bas, seuls locataires que le législateur estimait devoir protéger contre la hausse des prix de l’énergie. La mesure est donc totalement disproportionnée. En outre, dans de nombreux cas, l’indexation des salaires ou allocations sociales (qui tient compte de l’augmentation du prix de l’énergie) est suffisante pour couvrir l’augmentation du prix de l’énergie. A nouveau, ceci n’a pas été pris en considération par les législateurs pour modaliser les mesures adoptées.

D’autre part, les locataires dont le bail prévoit un forfait de charges, n’ont pas subi de répercussions à la suite de l’augmentation des prix de l’énergie. Dans un tel cas, les mesures de limitation voire d’interdiction de l’indexation des loyers a un effet contreproductif puisqu’elles feront même faire des économies aux locataires au détriment du patrimoine des propriétaires.

Enfin, dans les trois régions, le PEB est devenu un élément du contrat de bail qui a donc une influence sur la fixation du loyer – à la hausse lorsque le bien dispose d’un bon label PEB et à la baisse lorsque le bien dispose d’un mauvais label PEB. Or, cette influence de la performance énergétique sur le loyer d’un bien n’a pas été prise en considération par les législateurs, et un locataire prudent et diligent choisissant un bien doté d’une bonne performance énergétique payera un loyer de base plus cher mais paiera également l’entièreté de l’indexation et sera donc défavorisé par rapport à un locataire moins regardant et moins prévoyant.

En ce qui concerne les discriminations entre propriétaires, elles sont principalement liées au fait que tous les propriétaires ne sont pas libres de décider d’effectuer les travaux nécessaires pour faire un saut de classe nécessaire pour leur permettre d’indexer totalement leur loyer et ce pour diverses raisons :

  • Les prescriptions et réglementations urbanistiques entrent souvent en conflit avec les objectifs en termes de durabilité des bâtiments. En effet, par exemple en ce qui concerne les bâtiments classés, quasiment tous les travaux nécessaires pour améliorer la performance énergétique du bâtiment sont interdits tels que l’isolation de la façade par l’avant, l’isolation du toit, la pose de panneaux photovoltaïques, la pose de vitres double vitrage et de châssis plus performants.

  • Les propriétaires d’appartements doivent obtenir l’accord des deux-tiers de la copropriété pour pouvoir procéder aux travaux touchant aux parties communes, à savoir la façade et le toit. A titre d’exemple, il pourrait être difficile d’obtenir l’accord de la copropriété pour procéder aux travaux d’isolation du toit puisque de tels travaux n’amélioreraient que le score PEB des appartements se trouvant au dernier étage.

En outre, comme mentionné, certaines versions du protocole PEB sont plus sévères que d’autres, ce qui crée des discriminations entre propriétaires selon la date à laquelle ils ont fait établir leur certificat PEB.

Enfin, les mesures de limitation voire d’interdiction de l’indexation ont été adoptées par les législateurs régionaux en partant du présupposé que les propriétaires ne voyaient pas leurs coûts fixes augmenter ce qui n’est pas le cas. L’augmentation des prix de matériaux a été exponentielle entre 2020 et 2022. De même, les primes d’assurance, le précompte immobilier et les coûts liés à un crédit hypothécaire en raison de l’augmentation des taux d’intérêts.

Finalement, alors même que les locataires et bénéficiaires d’allocations sociales voient leurs revenus augmentés grâce à l’indexation, il est décidé de priver les propriétaires de toute indexation de leurs revenus (c’est-à-dire des loyers), à tout le moins de la limiter, ce qui constitue une atteinte à l’équilibre entre locataires et propriétaires et une discrimination flagrante des propriétaires.

3. La limitation voire l’interdiction de l’indexation viole le droit fondamental de propriété des propriétaires

Le droit de propriété est un droit fondamental reconnu par la constitution belge mais également au niveau européen et international. Les jurisprudences de la Cour constitutionnelle et de la Cour européenne des droits de l’homme considèrent à l’unisson qu’une limitation du loyer imposée par une loi est une ingérence dans le droit de propriété du propriétaire-bailleur qui n’est acceptable que si elle est justifiée par un intérêt légitime et est proportionnée aux objectifs poursuivis.

En l’espèce, les mesures régionales sont disproportionnées puisqu’elles vont jusqu’à interdire toute indexation du loyer dans le cas des plus mauvais scores PEB (F et G à Bruxelles et en Wallonie et E et F en Flandre) alors que les travaux préparatoires précisent bien que l’augmentation des prix de l’énergie ne constitue que la moitié de l’indexation.

Dès lors, les mesures régionales compensent plus que ce qu’elles annoncent compenser, ce qui a pour conséquence un enrichissement des locataires au détriment des propriétaires qui eux voient leurs coûts, leurs assurances et leurs impôts augmenter.

En outre, la jurisprudence considère qu’une mesure qui trahit la sécurité juridique et la confiance légitime des justiciables, qui sont des sauvegardes essentielles dans un Etat de droit, est disproportionnée. Cela est bien le cas en l’espèce puisque les mesures régionales pénalisent sans aucune mesure transitoire les propriétaires qui n’ont enfreint aucune loi puisqu’un certificat PEB ne sera obligatoire (en dehors des cas de la vente et de la location) qu’à partir de 2025 et un mauvais certificat PEB ne sera sanctionné qu’à partir de 2030 ou 2033 selon la Région concernée.

4. Quelles sont les prochaines étapes ?

La procédure devant la Cour constitutionnelle a lieu principalement par écrit. Les parties se répondront successivement dans des écrits de procédure, qui sont dénommés les « mémoires » devant la Cour constitutionnelle.

Avec l’échange des différents écrits et le temps nécessaire à la Cour constitutionnelle pour prendre sa décision, une période d’environ 11 mois (entre 8 et 14 mois) sera nécessaire pour obtenir un arrêt de la Cour.

Contact pour le SNPC : Eric Mathay, Président de la Régionale Bruxelloise du SNPC
GSM : 0475/45.35.44 - mathay@bma.be

Contact pour VE : Katelijne D’Hauwers, Directrice de VE
GSM : 0476/65.78.92 - katelijne.dhauwers@ve-pr.be

Cet article n'est valide qu'à la date où il a été publié.
Vous utilisez un navigateur qui ne prend pas en charge toutes les fonctionnalités du site. Nous vous conseillons de changer de navigateur.
×