Abus de droit dans les assemblées générales

Le CRI n°479 - Décembre 2023
Abus de droit dans les assemblées générales

Il existe des garde-fous légaux pour empêcher un pouvoir concentré dans les AG. Toutefois, ils doivent être complétés, si nécessaire, par les Tribunaux.

L’Assemblée Générale est souveraine et le syndic doit appliquer ses décisions.

Aussi, un copropriétaire désireux « d’imprégner sa marque » dans la gestion de celle-ci, aura légitimement tendance à vouloir se positionner en force dans l’Assemblée Générale et aussi à veiller à ce que le syndic lui soit « proche ». Il pourrait être ainsi au levier des commandes.

Examinons préalablement les garde-fous que notre le législateur a imaginés.

Ultérieurement, voyons comment certains veulent les contourner et à quoi les Tribunaux doivent être sensibles.

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Le cadre législatif

Quant au quorum de présence

En vertu de l’article 3.87, §5 du nouveau Code civil, il importe que « plus de la moitié des copropriétaires sont présents ou représentés et pour autant qu’ils possèdent au moins la moitié des quotes-parts dans les parties communes ».

Ainsi, a-t-on aussi égard, non seulement à la force liée aux quotités mais aussi au nombre de copropriétaires.

Certes, si les deux quorums ne sont pas atteints, des décisions peuvent être prises lors de la deuxième Assemblée Générale, peu importe le nombre des membres présents ou représentés et les quotes-parts de Copropriété dont ils sont titulaires. Il est évident qu’on ne peut bloquer un processus de vote parce que des copropriétaires se désintéressent de la gestion de l’immeuble.

Quant aux règles de majorité.

Ici, nous nous bornerons à rappeler que les types de majorité requise dépendent bien naturellement des décisions à prendre (majorité absolue, majorité des 2/3, majorité des 4/5èmes et unanimité dans certains cas).

Nous renvoyons nos lecteurs aux articles de la loi sur la Copropriété (art. 3.87, §8, art. 3.88).

Quant aux modalités du vote

A l’article 3.87, §7, le législateur a prévu ce qui suit :

« Nul ne peut prendre part au vote même comme mandant ou mandataire, pour un nombre de voix supérieur à la somme des voix dont disposent les autres copropriétaires présents ou représentés.

Nul ne peut accepter plus de trois procurations de vote.

Toutefois, un mandataire peut recevoir plus de trois procurations de vote si le total des voix dont il dispose lui-même et de celles de ses mandants, n’excède pas 10% du total des voix affectées à l’ensemble des lots de la Copropriété.

Le syndic ne peut intervenir comme mandataire d’un copropriétaire à l’Assemblée Générale, nonobstant le droit pour lui, s’il est copropriétaire, de participer à ce titre aux délibérations de l’Assemblée ».

Quant au cadre jurisprudentiel existant ou susceptible d’exister

Mais ce cadre législatif n’est pas suffisant.

Voyons le cadre jurisprudentiel existant ou qui pourrait exister.

Vote par sociétés interposées.

Partons d’un exemple concret.

Une Société A détient la majorité des lots en manière telle qu’elle représente près de 81% des quotités.

Toutefois, cette Société A a veillé à « démanteler » son droit de propriété par la mise en œuvre de baux emphytéotiques avec des sociétés emphytéotes B, C et D tout en restant copropriétaire plein et entier au moins pour un lot.

L’emphytéose est bien considérée comme un droit réel démembré de la propriété.

Le droit de propriété est ainsi partagé entre un emphytéote qui possède le droit de jouissance sur le bien de la manière le plus étendue et le propriétaire du bien qu’on appelle le tréfoncier.

Pendant toute la durée de l’emphytéote, les droits du propriétaire (Société A) sont limités par les droits qu’il a abandonnés à l’emphytéote ; en contrepartie, le propriétaire (Société A) reçoit une redevance annuelle appelée canon emphytéotique.

Qu’implique ce démembrement sur le droit de vote ?

Il faut, en fonction de l’article 3.87, §1er, alinéa 2, qu’il soit désigné par les intéressés (emphytéote et tréfoncier) une seule personne est appelée à voter.

Deux possibilités se présentent alors :

  1. C’est le propriétaire (Société A) qui est désigné et non les sociétés emphytéotes, ce qui limite naturellement son droit de voter pour lui et pour ses sociétés mais les limites fixées par le cadre législatif rappelé supra pourront utilement jouer puisqu’il ne pourra prendre part au vote pour un nombre de voix supérieur à la somme des voix dont disposent les autres copropriétaires présents ou représentés. Le garde-fou législatif est suffisant.

  2. Pour déjouer cette règle, les sociétés emphytéotes votent chacune pour leurs lots en suivant les instructions du propriétaire (Société A) avec lequel ils se sont accordés.

    De cette façon, apparemment conformément aux dispositions légales, ils sont en droit d’imposer ensemble « leur diktat » et faire passer le point de vue du propriétaire (Société A) tréfoncier qui leur aura consenti le droit de participation aux délibérations de l’Assemblée Générale en leur donnant ses instructions.

Voilà comment, en toute légalité, on pourrait ainsi faire en sorte qu’une seule personne dirige une Copropriété…

Il est évident qu’une telle piste va pleinement à l’encontre de la volonté du législateur et de l’interprétation d’autres textes (voir cadre législatif repris supra) qui ont voulu limiter le pouvoir de vote lorsqu’existait le risque d’une entrave au bon fonctionnement de l’Association des Copropriétaires, moteur de la copropriété.

Nous sommes loin du fonctionnement « démocratique » espéré.

Le Juge de Paix de BEVEREN (Jugement du 17.07.2018 : R.C.D.I., Décembre 2018, p. 22) a été saisi d’une problématique fort proche et a ainsi relevé, dans le cadre d’un recours exercé :

« La réduction du pouvoir de voter prévue à l’article 3.87, §7, alinéa 4 du Code Civil, ne doit pas être méconnue lorsque des personnes physiques, à côté du vote qu’elles émettent en leur nom propre, prennent part au vote au nom d’une personne morale dont elles sont actionnaires ».

Cette décision doit bien naturellement être approuvée.

Il ne peut être accepté qu’un copropriétaire, par le biais de sociétés dans lesquelles il détient une majorité d’actions, s’arroge ainsi un pouvoir décisionnel supérieur à celui des autres copropriétaires.

Bien sûr, cela exigera du Juge de Paix saisi un examen de l’actionnariat des Sociétés ainsi qu’éventuellement, la composition de leur Conseil d’Administration.

Charges supportées autrement que suivant les quotités

Un tel support pourrait relever aussi d’un abus susceptible d’être couvert par une décision de l’Assemblée Générale approuvant les comptes.

Il ne faut certes pas « trop brimer » les promoteurs qui, dans le cadre de constructions de blocs à appartements prennent naturellement des risques.

Mais il ne faut pas non plus permettre que ceux-ci abusent de leur position.

Certains statuts reprenaient des clauses dispensant le promoteur immobilier du paiement des charges de Copropriété jusqu’à vente des lots, ceux-ci, forts de ces clauses ainsi insérées auxquelles avaient adhéré les copropriétaires par leur acte d’achat se référant aux statuts, se croyant ainsi être en droit d’imposer une telle répartition lors des votes sur les comptes au sein des Assemblées Générales.

Les Tribunaux ont eu parfois à connaître de ces questions et, très légitimement, ils ont considéré :

« Les défendeurs doivent contribuer aux charges au prorata de leurs quotités, malgré la clause de l’acte de base qui prévoit que « tant qu’un lot sera la propriété du lotisseur ou ne sera pas occupé, il n’interviendra pas dans les frais et charges de la Copropriété » » (J.P. BINCHE, 30.03.2017, J.J.P., 7-8/2018).

« La clause qui dispense le promoteur immobilier du paiement des charges de la Copropriété est contraire à l’article 577/2 §3 et à l’article 9 du code Civil.(ancien code civil), soit 3.74 du nouveau code civil.
Il est du devoir de chaque copropriétaire de contribuer aux charges communes, cette obligation relevant des dispositions impératives de la loi sur la Copropriété.
Le promoteur immobilier ne peut, en conséquence, y déroger contractuellement »
(Tribunal de 1ère instance néerlandophone de Bruxelles, 04.12.2017, R.C.D.I. 2018/2, p. 59).

Une décision de l’A.G. approuvant les comptes et se basant ainsi sur une telle clause serait abusive.

Vote pour une action judiciaire à entreprendre contre un promoteur – vendeur

Comme la vente de l’ensemble des appartements construits peut prendre un certain temps, il n’est pas rare que, pendant plusieurs exercices, la Société du promoteur (ou sa Société sœur) reste « maître à bord » et détienne ainsi la majorité des quotités.

Cela permet ainsi à un promoteur d’éventuellement veiller à ce que le syndic qui administre cette Copropriété soit une personne qui lui soit fidèle.

Mais, après une construction, il peut exister dans le bien divers problèmes qui, s’ils ne sont pas résolus amiablement, justifient une action judiciaire.

Et si les copropriétaires, au vu de ce qu’ont été décelés dans les parties communes, des éléments viciés, entendent voter pour une action, il est à craindre que, si le syndic est une émanation du promoteur, le processus décisionnel soit à tout le moins entravé.

Il peut en être également ainsi si le promoteur détient encore des quotités majoritaires.

Les garde-fous prévus par notre législateur ne nous apparaissent pas suffisants et l’entrave à l’exercice d’un droit de vote des copropriétaires se considérant préjudiciés par des vices dans les parties communes est bien réel.

C’est en vain que serait invoqué par les copropriétaires l’article 3.87, §9, pour interdire au promoteur (à lui ou à des sociétés ayant des liens avec celui-ci) le droit de prendre part au vote portant sur l’opportunité d’une action judiciaire liée aux malfaçons.

Cet article, en effet, ne nous apparaît pas concerner le cas d’espèce. Il vise certes le conflit d’intérêt et empêche un cocontractant de voter à l’Assemblée Générale sur ce qui relève de sa mission.

Mais, si l’on interprète le texte de manière très restrictive, le promoteur mis en cause, encore copropriétaire, pourrait soutenir que la construction de l’immeuble est terminée et qu’il ne preste plus ses services, même s’il est tenu à la garantie décennale. Ce possible blocage dans un vote à intervenir nous apparaît abusif.

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On aurait pu imaginer une rajoute à l’article 3.87 §9 se présentant comme suit :

« Toute personne ayant participé de quelque manière que ce soit à la construction de l’immeuble, objet de la Copropriété, sera privée du droit de vote pendant une durée de dix ans, pour la délibération portant sur les travaux réalisés par elle et susceptibles de justifier une mise en cause de sa responsabilité ».

Conclusion

Les trois exemples exposés supra démontrent qu’il est évidemment impossible dans un texte légal de prévoir tous les cas d’abus au sein des Assemblées Générales. Il faut donc laisser à un Tribunal le soin de pouvoir, dans des cas précis, interpréter les textes afin que l’Assemblée Générale puisse fonctionner de manière démocratique et respectueuse des droits de chacun.

Cet article n'est valide qu'à la date où il a été publié.
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