Les guerres de voisinage

Le Cri n°497 - octobre 2025
Les guerres de voisinage

La Belgique est un pays densément peuplé : en moyenne 385 habitants par kilomètres carrés. Cette densité de population implique que les habitations et donc les individus vivent relativement proches les uns des autres. Cette promiscuité peut très rapidement entrainer des conflits : nuisances sonores et olfactives en tout genre, absence d’entretien du jardin, stationnement devant le garage, déchets, incinérateur sauvage, fumoir artisanal sont autant d’éléments qui peuvent exacerber les tensions entre voisins et entrainer des conflits qui vont parfois très loin. Faisons le point sur la situation.

Ce que dit la loi

Le nouveau Code civil dispose :

Art. 3.101. Troubles anormaux de voisinage

§ 1er. Les propriétaires voisins ont chacun droit à l'usage et à la jouissance de leur bien immeuble. Dans l'exercice de l'usage et de la jouissance, chacun d'eux respecte l'équilibre établi en ne causant pas à son voisin un trouble qui excède la mesure des inconvénients normaux du voisinage et qui lui est imputable.

Pour apprécier le caractère excessif du trouble, il est tenu compte de toutes les circonstances de l'espèce, tels le moment, la fréquence et l'intensité du trouble, la préoccupation ou la destination publique du bien immeuble d'où le trouble causé provient.

§ 2. Celui qui rompt l'équilibre précité est tenu de le rétablir. Le juge ordonne celles des mesures suivantes qui sont adéquates pour rétablir l'équilibre:

1° une indemnité pécuniaire pour compenser le trouble excessif;

2° une indemnité pour les coûts liés aux mesures compensatoires prises quant à l'immeuble troublé pour ramener le trouble à un niveau normal;

3° pour autant que cela ne crée pas un nouveau déséquilibre et que l'usage et la jouissance normaux de l'immeuble ne soient pas ainsi exclus, l'interdiction du trouble rompant l'équilibre ou des mesures, concernant l'immeuble causant le trouble, pour ramener le trouble à un niveau normal.

(…)

La loi rappelle donc le principe selon lequel chacun a le droit d’user et de jouir de son bien. Chaque personne peut donc vivre comme il l’entend chez lui. Jusqu’ici, rien de surprenant et c’est même assez évident pour tout un chacun de pouvoir jouir chez sois d’une liberté individuelle.

ABC de la répartition des charges
ABC de la répartition des charges
Propriétaire/Locataire
Les dépenses liées au logement sont au coeur des préoccupations des deux parties, bailleur et locataire. Le bailleur devra l
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Toutefois, ce droit d’user et de jouir de son bien n’est pas absolu. Cela signifie que le législateur a expressément prévu qu’une personne ne pouvait pas faire absolument tout ce qu’elle voulait. Pensons par exemple à un élevage de 10 chèvres dans un jardin de ville de 2 mètres carrés avec les nuisances évidentes que cela comporte. La loi pose ainsi une limite à l’usage et au mode de vie dans une habitation. D’une part, il existe des règles administratives et pénales (pensons par exemple aux interdictions communales de tondre sa pelouse le dimanche entre certaines heures) mais en dehors des règles qui incriminent des comportements, il existe une balise mise en place par le code civil d’autre part. Il s’agit de la notion de trouble excessif : une personne peut jouir de son bien mais ne peut pas créer un trouble excessif dans le chef de ses voisins.

La notion de trouble excessif

Le Code civil comme nous venons de le voir, considère qu’un équilibre doit être trouvé entre les droits de chacun : celui de pouvoir jouir de son bien avec autonomie d’une part et de ne pas être importuné par son voisin d’autre part.

Cet équilibre dépend des circonstances de l’espèce c’est-à-dire du cas concret. En effet, une situation n’est pas l’autre et dépend des personnes en présence, du contexte, des antécédents et du trouble.

Il convient également de noter que si un trouble est constaté, il n’est pas nécessairement problématique : la loi impose que celui-ci soit excessif. Par exemple, vous pouvez être dérangés par les aboiements du chien de votre voisin lorsque ce dernier revient à la maison mais si cela se limite à quelques secondes par jour (en dehors de la nuit), ce trouble n’est pas nécessairement excessif.

Un trouble peut être par exemple considéré comme excessif dans de très nombreux cas et notamment : en ville, un propriétaire élève des coqs sur un balcon d’appartement ; une personne possède 5 gros chiens dans un appartement ; une personne n’entretient pas la végétation de son jardin qui bloque la lumière aux voisins ; l’utilisation d’une débroussailleuse dès le matin ; la création d’un compost à la limite de propriété avec un dégagement d’odeur sur la terrasse du voisin etc.

La sanction

Si le juge constate que le trouble peut être qualifié d’excessif, la sanction n’est pas nécessairement d’y mettre un terme. En effet, le juge dispose de trois possibilités : une indemnisation financière pour compenser le trouble, une indemnisation financière pour mettre en place une solution et enfin interdire ce qui est excessif pour ramener le trouble à un usage normal.

Ainsi, une indemnisation financière pour compenser le trouble désignerait par exemple le paiement d’une somme d’argent en faveur d’un propriétaire dont le voisin aurait légalement construit une annexe qui le prive de lumière et de vue. Le juge ne va pas ordonner la destruction de l’annexe (pour autant qu’elle soit régulière), il ne peut pas créer de la lumière mais il va compenser la perte de valeur du bien privé de lumière ainsi que l’usage qui peut en être fait.

Le juge pourra aussi ordonner que le voisin troublé bénéfice d’une indemnisation pour mettre en place des solutions techniques qui permettent de réduire le trouble à un niveau normal. Nous pensons ainsi par exemple à des mesures d’isolations phoniques. Il serait même envisageable par exemple en cas de travaux importants pendant deux jours de prévoir le paiement d’un logement temporaire pendant les travaux.

Enfin, pour autant que l’équilibre puisse être rétabli par ce moyen, un magistrat peut prendre des mesures créatives ou des interdictions concrètes. Nous pensons par exemple à l’interdiction d’utiliser la débroussailleuse entre certaines plages horaires, l’obligation pour un propriétaire canin d’emmener l’animal à des cours d’éducation, d’ordonner que des arbres remarquables soient taillés, de déplacer le compost à un autre endroit du jardin, d’interdire sous astreinte la présence d’un fumoir artisanal dans le jardin ou à proximité des habitations, à la limitation de posséder seulement 2 chiens, etc.

Qu’en retenir ?

Bien s’entendre avec ses voisins est souvent relativement simple. Malheureusement, il existe des situations où un équilibre doit être trouvé entre le droit de chacun d’user de son bien et de vivre dans son domicile la vie personnelle qu’il souhaite et le droit des autres d’en faire de même, sans que chacun ne soit importuné par l’autre. Si le Code civil met en place des règles relativement claires, il est évident que chaque situation est différente et devra être analysée par le Juge de paix. Une autre alternative intéressante est d’envisager une médiation entre partie ; les résultats de ce mode alternatif des conflits sont particulièrement satisfaisants dans ce genre de contexte.

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