Des copropriétaires minoritaires peuvent-ils bloquer une prise de décision d'une assemblée générale portant sur des travaux nécessaires ?

Le CRI n°483 - Avril 2024
Des copropriétaires minoritaires peuvent-ils bloquer une prise de décision d'une assemblée générale portant sur des travaux nécessaires ?

Nous partirons du texte légal et nous verrons la difficulté de son application dans un exemple.

L’article 3.88 §1er 1b. relève que « l’Assemblée Générale décide à la majorité des 2/3 de voix…. de tous travaux affectant les parties communes, à l’exception des travaux imposés par la loi et des travaux conservatoires et d’administration provisoire qui peuvent être décidés à la majorité absolue des voies des copropriétaires présents ou représentés, sans préjudice de l’article 3.89, §5, 2° » (ce dernier article étant celui rendant le syndic compétent pour accomplir des actes conservatoires et des actes d’administration provisoire).

S’il est heureux que pour des travaux conservatoires et d’administration provisoire ainsi que des travaux imposés par la loi, la majorité soit distincte de celle des 2/3 (on pourrait d’ailleurs se poser la question de la nécessité d’un vote pour des travaux imposés par la loi…), force est de reconnaître qu’il n’est pas toujours aisé, alors que des travaux peuvent être « nécessaires », d’arriver à cette majorité des 2/3, soit plus de 66,66%.

Reprenons l’exemple (pouvant se rencontrer très fréquemment), d’une résidence dans laquelle des travaux de façade et de toiture revêtent une réelle importance compte-tenu de la passoire énergétique qu’est le bâtiment et, même, des infiltrations liées à l’enveloppe du bâtiment qui est déficiente.

Les copropriétaires dont les parties privatives sont situées à l’ouest subissent davantage de désagréments lors de pluies diluviennes.

Un préjudice important est aussi subi par les propriétaires de l’étage supérieur.

Mais, lors du vote intervenu en Assemblée Générale, la résolution sur les travaux à effectuer a été rejetée par 40%.

Il manque donc « 6,66 petits pourcents » pour permettre un vote positif aux 2/3 des voix.

Et pourtant, avant cette Assemblée Générale, les copropriétaires préjudiciés n’ont pas manqué d’exercer une pression légitime optimale en adressant un courrier à tous rédigé comme suit :

« Cela fait maintenant 10 ans que ces questions sont abordées lors des réunions de la Copropriété.

Des aménagements individuels ont été mis en place dans certains appartements, des rapports d’expertise ont été établis, de très nombreux débats ont eu lieu, plusieurs entrepreneurs ont été sollicités, des devis ont été demandés et présentés, malheureusement sans jamais aboutir à une décision favorable qui permette d’avancer…

Pendant ce temps, les problèmes constatés s’accentuent et l’immeuble continue à se détériorer et à se dégrader au point que des médecins s’inquiètent de la santé de leurs patients au vu de l’état d’insalubrité de leur logement et de son impact sur certaines affections médicales chroniques ».

Et même ce plaidoyer resta sans suite.

Ne peut-on pas dès lors soutenir que l’opposition à un vote favorable est exclusivement dictée par des intérêts personnels qui contrebalancent l’intérêt général ?

Et c’est là l’éternel débat dans les Copropriétés : certains, âgés, considèrent que l’investissement demandé, au vu de leur espérance de vie, n’est pas utile ; d’autres préciseront que leur bien étant loué, ils préfèrent, même si le PEB n’est pas performant, obtenir un rendement moindre mais ne pas investir.

Bref, la divergence d’intérêts est souvent fréquente.

Les copropriétaires majoritaires (ici largement majoritaires) sont-ils alors dépourvus de tout moyen ?

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L’article 3.92 §8 prévoit ce cas de figure :

« Lorsqu’une minorité de copropriétaires empêche abusivement l’Assemblée Générale de prendre une décision à la majorité requise par la loi, tout copropriétaire lésé peut également s’adresser au Juge, afin que celui-ci substitue à l’Assemblée Générale et prenne à sa place la décision requise ».

Voilà le Juge de Paix « au centre du débat » appelé à apprécier si les « opposants » ont empêché abusivement l’Assemblée Générale de prendre une décision à la majorité requise par la loi.

Peut-on considérer que ce que doit apprécier le Tribunal est « un abus de droit » ?

Dans l’exemple précité, les opposants pourraient justifier le fait que leurs revenus ne leur permettent pas de financer de tels travaux et que, de surcroît, en votant de la sorte, ils n’ont « aucune intention de nuire ».

Le débat va nécessairement porter sur le fait qu’il n’y a pas, chez les minoritaires, intention de nuire aux autres copropriétaires et que, partant, il n’y a pas abus d’exercer son droit.

Est-ce là une approche qu’un Juge de Paix peut retenir ?

Dans un Arrêt prononcé par la Cour de Cassation le 25 avril 2022, il est considéré que l’on peut conclure à l’existence d’un abus de droit même si son titulaire n’a pas l’intention de nuire.

Ainsi, « cette intention de nuire » n’est pas une condition nécessaire pour voir reconnue cette théorie.

D’après la Cour de Cassation, « l’abus de droit consiste à exercer un droit d’une manière qui excède manifestement les limites de l’exercice de ce droit par une personne prudente et diligente ».

Et, au départ de cette définition et au gré des décisions, la doctrine et la jurisprudence (voir Obligations, contrats et responsabilités, 2022, n°135 Lauriane Malhaize) ont distingué plusieurs situations constitutives d’un abus de droit : lorsque l’exercice du droit cause au cocontractant (ici aux autres copropriétaires), sans intérêt ou motif légitime, un préjudice que l’on aurait pu éviter ; lorsque le préjudice causé est sans proportion avec l’avantage recherché ou obtenu par le titulaire du droit ; lorsqu’entre plusieurs manières d’exercer le droit, le titulaire choisit la plus dommageable pour le cocontractant (ici le copropriétaire) sans que ce choix ne soit justifié par un intérêt suffisant ; et enfin lorsque le titulaire du droit agit dans l’intention exclusive de nuire au cocontractant » (mais, comme précisé supra, il ne s’agit pas d’une condition nécessaire).

Qu’en est-il dans le cas présent ?

Il s’agit de faire la balance des intérêts en présence.

Même si en l’espèce, il ne s’agit pas de rentrer dans la théorie des troubles de voisinage, il n’en reste pas moins qu’il nous semble intéressant de faire un parallélisme avec cette théorie.

L’article 3.101 de notre nouveau Code Civil relève, en son paragraphe 1er :

« Les propriétaires voisins ont chacun droit à l’usage et la jouissance de leur bien immeuble. Dans l’exercice de l’usage et de la jouissance, chacun d’eux respecte l’équilibre établi en ne causant pas à son voisin un trouble qui excède la mesure des inconvénients normaux du voisinage qui lui est imputable.

Pour apprécier le caractère excessif du trouble, il est tenu compte de toutes les circonstances de l’espèce, tels que le moment, la fréquence et l’intensité du trouble, la préoccupation ou la destination publique du bien immeuble d’où le trouble causé provient ».

Le législateur a parlé, dans cette théorie, d’équilibre.

Et nous pensons que c’est ce concept qui, en l’espèce, devrait orienter la décision du Tribunal.

Dans l’exemple donné, il manquait 6,66%... pour arriver à la majorité nécessaire.

De surcroît, ne peut-on pas aussi mettre en avant, pour des travaux à réaliser, un « intérêt sociétal » en relation avec la lutte contre les déperditions énergétiques ?

Certes, à nouveau en cette matière, le pouvoir discrétionnaire du magistrat est important, lui qui, selon le texte légal, peut se substituer à l’Assemblée Générale et prendre à sa place la décision requise…

L’Assemblée Générale perd donc de sa souveraineté pour, dans ce cas, permettre au Juge de Paix d’arbitrer.

Une autre question importante est celle des parties à mettre à la cause dans le débat judiciaire.

Imaginons que cette Copropriété comptant 100 appartements, les opposants aux travaux sont au nombre de 36.

Va-t-on imposer aux copropriétaires saisissant le Tribunal de lancer 36 citations avec les frais d’huissier que cela génère ?

Avant de répondre à cette question, rappelons tout d’abord la particularité de cette action des minoritaires.

Il ne s’agit pas d’une action basée sur l’article 3.92 §3, article visant à introduire, dans un délai de 4 mois, une demande d’annulation ou de réformation d’une décision irrégulière, frauduleuse ou abusive de l’Assemblée Générale qui cause un préjudice personnel.

Cela signifie d’ailleurs que la présente action en abus de minorité peut être intentée après un délai de 4 mois qui suit l’Assemblée Générale.

Si, dans le cadre de l’article 3.92 §3, le syndic représentant l’Assemblée Générale, peut être seule partie défenderesse et, en cette qualité, s’opposer à la demande d’annulation ou de réformation, dans le cadre de l’action en minorité, ce qui est en cause c’est une position « abusive » des minoritaires en manière telle que le syndic nous apparaît devoir adopter une attitude plus neutre.

Cela signifie -t-il que devraient être à la cause tous les copropriétaires « minoritaires » … ?

Une telle voie nous apparaît rendre très problématique une action judiciaire pouvant s’imposer, à cause des frais que cela génère.

Aussi, nous partageons l’approche de certains auteurs (La Copropriété, Les Droits et Devoirs du Copropriétaire, du Syndic et de la Copropriété, Eric RIQUIER, 2ème édition, p. 142) lequel relève :

« L’action doit être introduite par citation contre la Copropriété (c’est-à-dire contre l’Assemblée Générale représentée par le syndic) ».

L’auteur nuance ultérieurement sa position en relevant : « Une certaine jurisprudence considère qu’elle doit également être formée contre les copropriétaires minoritaires qui ont empêché que soit votée la décision. Nous ne partageons pas ce point de vue mais, par prudence, il sera bon de se renseigner sur la jurisprudence du Juge de Paix du canton dans lequel l’action doit être introduite et du tribunal d’appel et, en cas de doute, de mettre les copropriétaires minoritaires à la cause ».

Conclusion

Nous conclurons en précisant que ces procédures risquent de se développer au vu de l’inertie fréquente de certaines Assemblées Générales appelées à prendre des décisions onéreuses.

Mais elles pourraient être évitées si est rempli le devoir d’information mené sous l’autorité du syndic pour des travaux constituant « un vrai plus » pour le bien, éventuellement avec l’assistance d’un expert technique. Ce dernier, par un dossier bien ficelé, pourrait éclairer l’Assemblée Générale sur la nécessité d’un vote positif à majorité des 2/3.

Et l’intérêt de ce passage préalable par un expert appelé à éclairer utilement l’AG réside dans le fait que celui-ci peut être investi de sa mission par une majorité absolue (50 %+1) et non par une majorité des 2/3.

Enfin, pour éviter la multiplication des citations en justice de tous les opposants si la procédure venait à s’imposer, nous suggèrerions que le syndic, au moment où il comparaît devant le tribunal, présente à celui-ci les courriers officiels envoyés soit par mail, soit par courrier recommandé (avec, chaque fois, demande d’accusé de réception) à chacun de ces minoritaires. Ces courriers avertiraient les minoritaires de l’action entreprise en leur proposant, s’ils entendent faire valoir leur point de vue, de faire intervention volontaire devant le tribunal

Choisir une telle voie permet de concilier, d’une part, la nécessaire mise au courant des minoritaires de la procédure entamée et, d’autre part, la limitation des frais d’introduction de la cause

Serait respecté l’article 3.92 §1er qui reconnaît à l’Association des copropriétaires qualité pour agir en justice tant en demandant qu’en défendant et ne serait pas violé l’article 3.92 &8 qui ne dit rien sur les parties à mettre à la cause.

Cet article n'est valide qu'à la date où il a été publié.
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