Le nouveau projet de RRU : le parcours semé d’embûches d’une tentative de dérégulation

Le CRI n°476 - Septembre 2023
Le nouveau projet de RRU : le parcours semé d’embûches d’une tentative de dérégulation

État des lieux du processus de révision en cours du RRU et des critiques émises lors du processus participatif

Un espoir de changement pour un texte dont les fondements datent de plus de 20 ans

L’actuel règlement régional d’urbanisme (RRU) qui constitue la base de la matière urbanistique pour l’ensemble du territoire régional, a été adopté par le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale en date du 21 novembre 2006, publié au Moniteur belge du 19 décembre 2006, ce texte est entré en vigueur à la date du 3 janvier 2007. A l’origine, il comprenait les 7 titres suivants :

A cet égard, on rappellera que le RRU est un instrument de nature règlementaire contenant des dispositions de portée générale et obligatoires et applicables, en principe, sur l’ensemble du territoire de la Région de Bruxelles-Capitale.

Ces règles doivent être respectées lors de tous travaux soumis ou dispensés de permis d’urbanisme, sauf dérogation accordée par l’autorité compétente lorsque celle-ci est jugée conforme au principe de bon aménagement des lieux.

S’agissant des dérogations portant sur le volume, l’implantation et l’esthétique des constructions, l’art. 126, § 11, du CoBAT prévoit que la demande de permis doit être soumise préalablement aux mesures de publicités visées à l’art.188/7 du CoBAT (enquête publique et avis de la commission de concertation) .

Le texte en vigueur, quelque peu daté, devait faire l’objet d’une actualisation afin de tenir compte d’une série d’évolutions survenues ces dernières années : appréhension notamment des questions environnementales (nouveaux modes constructifs, mobilité, etc.) et des nouveaux modes d’habitation (colocation, etc.). Une première procédure de révision du RRU avait été entamée sous la précédente législature en juillet 2018, elle n’avait cependant pas abouti.

Le projet de révision en cours se fonde quant à lui sur une volonté de modification plus profonde du texte s’inscrivant dans la logique du rapport de la Commission d’experts « Good living » d’octobre 2021 : une logique d’objectifs à atteindre plutôt que de moyens pour y arriver.
Le rapport vise ainsi à tendre vers un RRU orienté vers la qualité plutôt que vers la seule sécurité juridique : « L’évolution d’un RRU actuellement défensif qui vise à rendre impossible ce qui n’est pas souhaitable vers un RRU proactif qui doit rendre possible tout ce qui est et tout ce qui sera souhaitable. »

Le projet de RRU est structuré en 3 Titres : Espaces ouverts / Urbanité / Habitabilité (et une annexe consacrée à l’accessibilité des personnes à mobilité réduite) :

1. Espaces ouverts :

  • Simplifier le contenu du RRU sur les espaces publics

  • Augmenter les performances environnementales au sein des espaces publics

  • Augmenter les fonctions d’usages dans l’espace public

  • Éviter l’encombrement dû à la démultiplication d’objets

  • Fixer un minimum d’espaces ouverts présentant un sol de qualité sur la parcelle

  • Augmenter les performances environnementales et les fonctions d’usage au sein des espaces privés

2. Urbanité :

  • Gérer la densité bâtie au travers d’un outil territorialisé

  • Gabarits

  • Activer un socle urbain : reconquérir les pieds d’immeubles

  • Faire participer les intérieurs d’îlot au développement durable du territoire régional

  • Favoriser la rénovation/reconversion plutôt que la démolition/reconstruction et rendre les constructions neuves facilement convertibles

  • Lutter contre la constitution d’îlots de chaleur et développer un réseau de fraîcheur

  • Gérer durablement les eaux de pluies

3. Habitabilité :

  • Des normes minimales d’habitabilité pour tous les immeubles

  • Flexibilité dans l’organisation interne du logement

  • Des espaces extérieurs pour tous les bâtiments

  • Favoriser le développement de logements étudiants abordables

  • Encadrer le développement et garantir la qualité des logements en co-living et co-housing

  • Encadrer la division des maisons unifamiliales et maintenir des logements adaptés pour les familles

  • Mutualiser l’usage des parkings et définir le nombre de parkings à réaliser en fonction d’une maille de quartier

Le projet a été présenté en première lecture au Gouvernement en 2022 et soumis à l’enquête publique du 12 décembre 2022 au 20 janvier 2023. En parallèle, il a été soumis à l’avis des différentes instances dont les conseils communaux. L’avis de la commission régionale de développement (CRD) a été rendu le 30 juin 2023.

Le moins que l’on puisse dire est que le projet ne fait pas l’unanimité : de nombreuses critiques ont été émises par différentes organisations professionnelles, représentations associatives ou instances publiques dont une part importante des communes de la Région.

Que faut-il en penser ? Quelles sont les critiques le plus souvent exprimées durant la phase de consultation ?

De manière générale, l’ambition de travailler par objectifs et d’atteindre un certain niveau de souplesse dans la pratique des règles urbanistiques applicables a été plutôt bien accueillie.

Toutefois, la plupart des avis rendus estime que les praticiens vont être exposés à d’importantes difficultés d’appréciation et de motivation des permis.

Ainsi, certaines dispositions du projet font craindre des risques pour la sécurité juridique liés à l’imprécision de ces prescriptions. Le caractère interprétatif du projet de RRU augmente également la difficulté de motivation des décisions par les différentes administrations et la charge de travail complémentaire qui risque de s’imposer aux demandeurs pour préparer leur dossier de demande de permis.

Dans certains cas, l’arbitraire est à craindre. Une large majorité des remarques émises dans le cadre du processus de consultation indique que le projet laisse un très (trop) grand niveau d’appréciation des règles par l’administration, alors que le RRU constitue avant tout un règlement dont le non-respect est sanctionné.

De nombreux réclamants critiquent ainsi le caractère flou, peu règlementaire, du texte et l’approche par objectifs/intentions avec l’utilisation fréquente d’une terminologie imprécise entrainant une dérégulation globale et une insécurité juridique considérable tant pour le demandeur que pour les administrations.

S’ils estiment, pour la plupart, que le RRU doit être révisé, ils demandent également que ce texte constitue un cadre juridique clair, avec des règles et des normes d’aménagement à suivre pour :

  • garantir l’atteinte des objectifs définis dans les plans et programmes ;

  • garantir une égalité de traitement entre les demandeurs ;

  • limiter une appréciation subjective de l’autorité délivrante.

La demande est forte pour que le citoyen puisse se sentir en sécurité et savoir d’emblée si son projet est ou non en dérogation au RRU.

De nombreux réclamants estiment aussi que le flou et les interprétations différentes des textes tels qu’établis constituent une porte ouverte aux recours administratifs et juridiques pour vices de procédures (respect de la norme et détermination des actes d’instruction).

En outre, l’objectif d’encadrer le développement des logements en colocation, co-living et co-housing n’est guère atteint. Aucune disposition spécifique n’est prévue pour ce mode particulier de logement en pleine expansion. Ce sont les dispositions générales du Titre III applicables à tous types de logements qui ont intégrés certaines considérations spécifiques au co-living. On pensera notamment à la limitation du nombre de chambres (15).

De même, l’objectif de mutualiser l’usage des parkings et de définir le nombre de parkings à réaliser en fonction d’une maille de quartier n’est guère plus atteint. L’art. 26, § 2, du Titre III prévoit certes une certaines mutualisation mais uniquement pour des emplacements surnuméraires au quota fixé. Par ailleurs, ces principes de mutualisation et de maille de quartier risquent bien de se heurter aux principes de la propriété individuelle et de la gestion des immeubles en copropriétés.

Le processus participatif étant arrivé à son terme, le projet de RRU devrait, après la trêve estivale, revenir sur la table du Gouvernement pour une seconde lecture avant demande d’avis à la section de législation du Conseil d’État.

La question sera dès lors de savoir si, au regard des remarques exprimées, le projet sera ou non poursuivi en l’état et si des modifications devront y être apportées, afin de répondre aux craintes des réclamants.

Dans cette hypothèse, les modifications seront-elles considérées comme mineures et non susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement (Art. 89/4 du CoBAT). Si tel ne devait pas être le cas , le projet modifié serait à nouveau soumis aux actes d'instruction, conformément à l'article 89/3 du CoBAT. Cette nouvelle procédure devrait évidemment tenir compte du calendrier électoral dont l’échéance est fixée au 9 juin 2024.

Les prochaines semaines devraient apporter des réponses à ces différentes questions.

Cet article n'est valide qu'à la date où il a été publié.
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